Un devoir de solidarité

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Introduction

Du point de vue de Partenaires pour la souveraineté, qui regroupe en une coalition non partisane une quinzaine de grandes organisations civiles québécoises partageant une même volonté d'agir en faveur de l'accession du Québec à l'indépendance politique, celle-ci ne saurait se réaliser sans qu'il soit tenu compte des intérêts et des aspirations des communautés francophones et acadienne du Canada.

De la même façon qu'il paraîtrait intolérable que la question des droits des Anglo-Québécois soit exclue du débat référendaire, il ne saurait être question de faire abstraction des droits des Acadiens et des francophones canadiens, de même que de l'obligation pour le gouvernement du Canada de s'engager clairement et fermement à respecter ces droits au lendemain de l'indépendance du Québec.

Nos origines communes et notre longue histoire, marquée certes par la division politique et par la menace constante et tragiquement réelle de l'assimilation mais aussi par une volonté partagée d'assurer la pérennité du fait français en Amérique du Nord, nous imposent à tous, Québécois, Acadiens et francophones canadiens, un réel devoir de solidarité.

Quelles que soient les divergences que nous puissions manifester quant aux moyens à mettre en oeuvre pour assurer cette pérennité et quoi qu'il advienne dans les années à venir, nous avons la profonde conviction que ce devoir de solidarité réciproque revêt un caractère impérieux et doit d'urgence se traduire par l'établissement de nouveaux rapports et la mise en oeuvre de nouveaux moyens.

C'est au nom de ce devoir de solidarité que nous intervenons collectivement aujourd'hui.


Une longue histoire commune marquée par la division politique

Le peuple québécois, le peuple acadien et les communautés francophones du Canada partagent des origines et une longue histoire communes.

Dès le départ, rappelons-le, il y eut deux foyers de peuplement français en Amérique: la vallée du Saint-Laurent et l'Acadie. Les communautés francophones du Canada tirent leurs origines de ce fait.

L'Acadie a été conquise par l'Angleterre et cédée à celle-ci par la France dès 1713, par le Traité d'Utrecht, 50 ans avant le Traité de Paris qui a consacré l'emprise britannique sur le “Canada” d'alors. Son histoire est marquée par un acte de barbarie perpétré par le conquérant britannique: la Déportation de 1755. Historiquement, la plus grande partie de l'Acadie n'a été intégrée au Canada qu'en 1867, en tant que partie du Nouveau-Brunswick, cette province s'étant elle-même séparée de la Nouvelle-Écosse en 1784, suite à l'immigration massive de loyalistes américains sur ce territoire.

Les liens historiques de l'Acadie avec le Québec, outre l'appartenance antérieure au royaume de France, se sont approfondis du fait de la Déportation, alors que des milliers de personnes déportées se sont installées au Québec, de telle sorte que plus d'un million de Québécois ont aujourd'hui des liens familiaux avec les Acadiens. La proximité géographique de l'Acadie avec la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine a par la suite contribué au maintien de ces liens.

Après la conquête et jusqu'en 1791, les Canadiens-français (autres qu'Acadiens) ont vécu au sein d'un même régime politique où leur langue, leur religion et leur droit civil français étaient maintenus. Mais la séparation de la “Province du Québec” en Haut-Canada et Bas-Canada priva, à partir de 1791, une partie des Canadiens-français des droits dont bénéficiait la masse de la population d'origine française concentrée dans la vallée du Saint-Laurent.

L'Acte d'union de 1840, imposé après l'écrasement de la rébellion des Patriotes en 1837-1838, reconstitua un territoire homogène et un gouvernement unique. La distinction entre Canada-Est et Canada-Ouest, tout en préservant certains droits parlementaires, linguistiques, religieux et scolaires pour les Canadiens-français du Québec, privait encore de tous ces droits les Canadiens-Français du Canada-Ouest.

Malgré cette situation, un nombre important de Canadiens-français quittèrent le Québec au cours du 19e siècle pour participer à l'ouverture et au développement rural de l'Ouest et tenter d'y gagner leur vie tout en contribuant à la mission de colonisation et de peuplement français du Canada que l'Église catholique promouvait alors. C'est de cette époque que date la formation des communautés franco-canadiennes de l'Ontario et de l'Ouest.

L'Acte de l'Amérique du Nord Britannique constituant dans la division la “fédération” canadienne en 1867, représenta un compromis historique par lequel les Canadiens-français du Québec purent recouvrer un pouvoir gouvernemental provincial _ certes limité mais réel dans certains domaines essentiels à leur survie collective _ qui leur avait été enlevé par l'Acte d'Union de 1840. Ce pouvoir et cette autonomie politiques retrouvés, ils ne cessèrent, depuis lors, d'oeuvrer avec acharnement à les élargir.

Dans la mesure où l'on admet que l'accession à la pleine maîtrise de son destin est l'aspiration fondamentale de tout peuple et le seul fondement solide de sa sécurité et de sa survie, il était inéluctable que les Canadiens-français du Québec consacrent leurs énergies à conquérir et à développer leur pouvoir d'État et leur souveraineté, acquérant ce faisant une conscience nationale spécifique pour devenir peu à peu le peuple québécois tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Mais le prix à payer par le peuple québécois pour réaliser sur son territoire le “fait français en Amérique” fut son isolement croissant au sein de la “fédération” et sa séparation politique des autres Canadiens-français. L'instauration de la “Confédération” en 1867 eut pour résultat de diviser de façon permanente les Canadiens-français entre les différentes provinces.

Isolées “constitutionnellement” de la francophonie québécoise, les communautés francophones et acadienne durent lutter sans relâche contre les forces socio-démographiques et socio-économiques qui concouraient à leur assimilation. Elles durent aussi se confronter à leurs gouvernements provinciaux qui, quand ils n'imposaient pas des lois et mesures carrément discriminatoires, refusaient systématiquement d'intervenir en leur faveur.

Les communautés francophones et acadienne du Canada ont dû faire preuve de persévérance et d'acharnement tout au long de leur histoire pour conquérir de haute lutte leurs droits linguistiques, depuis les rébellions de Riel jusqu'aux mobilisations actuelles pour obtenir l'autonomie de gestion scolaire, en passant par les contestations juridiques sur la langue de la législature au Manitoba et combien d'autres combats collectifs et actions individuelles de simple résistance quotidienne.

Il importe de rappeler que les communautés francophones et acadienne n'ont pas toujours pu faire appel au gouvernement fédéral pour les soutenir dans l'obtention et le respect de leurs droits. Pendant longtemps, celui-ci fut tout sauf leur allié dans cette bataille.

En fait, leurs gains les plus manifestes ont été réalisés à partir du moment, au tournant des années 60, où les francophones du Québec adoptèrent une stratégie de conquête du pouvoir d'État et s'affirmèrent dans tous les domaines, ce qui se traduisit notamment par la montée de l'indépendantisme québécois. L'affirmation québécoise fut accompagnée d'une prise de conscience et d'une attitude plus combative des communautés francophones et acadiennes. C'est largement en réaction à cette affirmation du Québec que le gouvernement fédéral se montra apparemment plus sensible aux préoccupations des francophones des autres provinces.

Après l'échec référendaire de 1980, trahissant sa promesse solennelle au peuple québécois de renouveler le fédéralisme dans le sens de ses revendications, le Premier ministre Trudeau imposa le rapatriement de la Constitution et l'adoption de la Charte des droits et libertés. Les communautés francophones et acadienne s'appuyèrent sur ces nouvelles bases juridiques pour tenter de défendre leurs droits linguistiques.

Bien que le gouvernement fédéral, c'est le moins qu'on puisse dire, n'ait pas toujours appuyé avec toute la diligence nécessaire les revendications des communautés francophones et acadienne depuis ce tournant, il faut désormais constater l'existence d'une attitude hautement stratégique de ce gouvernement envers ces communautés, attitude radicalement différente de celle que le fédéral a adopté envers le Québec.

Quel est aujourd'hui l'état des droits linguistiques des communautés francophones et acadienne au Canada?

Au niveau fédéral, le français et l'anglais sont également reconnus comme langues officielles du Parlement, de la réglementation, du droit criminel, de la fonction publique, des services gouvernementaux, des services publics et des corporations de la couronne. La Loi des langues officielles favorise, du moins en théorie, la protection et la promotion des deux langues par le biais de programmes de financement de l'enseignement et de subventions aux organismes et associations communautaires et culturels réalisant des projets dédiés à ces fins.

Au niveau des provinces, seul le Nouveau-Brunswick reconnaît le français comme langue officielle dans le cadre du bilinguisme constitutionnel. Le français est accepté comme langue parlementaire dans toutes les provinces, en ce sens qu'il n'est pas interdit de l'utiliser, bien que l'utilité de ce droit soit limité aux parlements provinciaux où les parlementaires francophones se retrouvent en nombre significatif.

Le français n'est reconnu comme langue législative qu'au Nouveau-Brunswick, par voie constitutionnelle, et au Manitoba, de par l'imposition par la cour suprême, en 1979, des obligations contenues dans l'Acte de constitution de cette province en 1870 (obligations que le gouvernement provincial manitobain avait refusé de satisfaire depuis 1890).

L'enseignement public en français, au niveau primaire et secondaire, est un droit constitutionnel reconnu dans l'ensemble des provinces, “là où le nombre le justifie”.

La responsabilité d'appliquer ce droit incombe aux provinces. Elle est pleinement assumée, semble-t-il, au Nouveau-Brunswick et en partie dans les autres provinces, sauf là où le nombre et la concentration des francophones sont dits trop faibles pour justifier les coûts de l'exercice de ce droit fondamental. De plus, malgré le jugement de la cour suprême dans l'affaire Mahé en 1989, et le jugement du Manitoba en 1993, le droit à la gestion des établissements scolaires n'est toujours pas acquis. En fait, le Nouveau-Brunswick est la seule province où une telle gestion est acquise. Par ailleurs, l'enseignement collégial et universitaire en français n'est pas reconnu comme un droit constitutionnel mais il est soutenu financièrement par le gouvernement fédéral et par quelques provinces.

Sauf au Nouveau-Brunswick, et plus particulièrement en Acadie, le droit de recevoir en français des services publics de santé et des services sociaux ne peut vraiment être exercé que dans les milieux où les francophones se concentrent de façon significative et, plus prosaïquement, lorsque le personnel fournissant ces services est francophone.

De la même façon, le français peut être la langue du travail dans les milieux où se concentrent les francophones, mais aucune mesure gouvernementale n'en assure la promotion. Il en va de même de la langue d'affichage, le français n'étant nulle part interdit mais nulle part réellement soutenu. Enfin, la population francophone du Canada a accès aux médias publics français (essentiellement Radio-Canada) ainsi qu'à quelques médias privés, là où le marché le justifie.

Pourtant, ultime illustration de la division qui caractérise l'évolution historique des Canadiens-français et qui résulte non pas de la volonté du peuple québécois ou des communautés francophones et acadienne mais du régime politique fédéral lui-même, la même Constitution de 1982 et la même Charte des droits et libertés sur lesquelles s'appuient les francophones canadiens pour défendre leurs droits ont été largement utilisées pour contrer les politiques québécoises de promotion de la langue française.

C'est la Constitution de 1982 qui a servi de fondement à la contestation devant la cour suprême de plusieurs articles de la Charte de la langue française, notamment ceux portant sur l'affichage et sur la langue d'enseignement. Celle-ci les a jugés non conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui a forcé le gouvernement québécois à amender la Loi 101 à plusieurs reprises.

Or, il est clair que le Québec n'aurait pu tenté de rééquilibrer ses rapports démolinguistiques et de rétablir la proportion de francophones au Québec s'il n'avait exercé son pouvoir de faire des lois linguistiques protégeant le français. C'est par cette démarche nationale qu'a été constituée la seule société en Amérique du Nord où les francophones peuvent vivre et s'épanouir pleinement en français. C'est aussi en maintenant une pression constante sur l'État canadien que les droits linguistiques québécois ont pu être concrétisés politiquement et juridiquement.

Les échecs des Accords de Meech et de Charlottetown sont venus confirmer le rejet du concept de “société distincte”, pourtant reconnu comme symbolique, puisqu'il ne s'agissait que d'une clause “interprétative” ne comportant aucun nouveau pouvoir, ni même l'obligation pour le gouvernement fédéral de se retirer des juridictions provinciales. Ce rejet a clairement révélé la volonté de la nation canadienne de ne pas reconnaître aux francophones des droits collectifs et des pouvoirs gouvernementaux mais uniquement des droits individuels.

En conclusion de ce bref rappel historique, il importe de souligner que (sans excuser pour autant l'insensibilité qu'ont pu manifester à l'occasion certains gouvernements québécois) le Québec n'a pas “abandonné” les communautés francophones et acadienne. Il en a été séparé par la nature même du régime fédéral. Ce régime n'a laissé au Québec aucune capacité d'intervention dans les affaires des autres provinces pouvant correspondre à sa responsabilité, en tant que principal foyer de la francophonie d'Amérique, de soutenir les luttes de résistance à l'assimilation. Au contraire, il a été continuellement placé devant l'obligation de se replier sur lui-même pour défendre ses propres juridictions et ses acquis toujours relatifs et précaires.


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