Une histoire marquée aussi par la tragique réalité de l'assimilation...

Si toutes les personnes d'origine française qui ont peuplé l'Amérique du Nord avaient conservé leur langue maternelle comme langue d'usage, on compterait actuellement plus de 20 millions de francophones sur ce continent.

Mais la survivance de la langue et de la culture françaises en Amérique du Nord est historiquement soumise aux pressions continues et inévitables de près de 300 millions d'anglophones dont la culture domine mondialement du fait de leur puissance économique, de leur poids politique, de leur contrôle de plus en plus grand sur les moyens de diffusion de masse qui accentue le pouvoir de séduction de leur culture de divertissement.

Le processus de transfert linguistique (lorsque la langue le plus souvent utilisée à la maison est différente de la langue maternelle) ou, autrement dit, d'assimilation tient, il faut le rappeler, à des choix de vie et à des nécessités d'adaptation à un milieu. L'assimilation est surtout déterminée par des phénomènes socio-démographiques et socio-économiques qui ne peuvent être contrés que par une intervention politique et juridique, et encore seulement à la condition que de telles interventions s'appuient sur une réalité démolinguistique significative. Il est clair que la prédominance d'une langue au plan socio-économique est déterminante (langue du travail, de la vie culturelle et sociale).

La préservation d'un groupe linguistique minoritaire exige la reconnaissance de droits spécifiques appuyés par un ensemble de lois, de règles et de services publics. L'absence de tels droits, surtout de droits à l'éducation, contribue fortement à l'assimilation. La capacité de résistance ou de persistance est donc aussi déterminée par le degré d'accès de la communauté minoritaire au pouvoir politique ou institutionnel: pouvoir d'établir les droits ainsi que les lois et services publics qui en découlent, pouvoir de gérer les institutions qui administrent ces lois et ces services.

Aujourd'hui, aux États-Unis, des 13 millions de personnes se déclarant d'origine canadienne-française, il n'en subsiste que quelques dizaines de milliers dont la langue d'usage est encore le français.

Au Canada, au recensement de 1991, un peu plus de 6,2 millions de personnes déclaraient qu'elles parlaient le plus souvent le français à la maison. La francophonie nord-américaine est donc devenu un phénomène essentiellement canadien.

Mais la francophonie canadienne elle-même est en baisse constante depuis la “Confédération” où elle représentait 31% de la population canadienne et cela, malgré les gains relatifs réalisés en terme de droits linguistiques et de pouvoir politique par le peuple québécois et par les communautés francophones et acadienne.

Simplement sur une période de 20 ans, de 1971 à 1991, le pourcentage de francophones au Canada a été réduit de 25,7% à 23%.

“Le taux de transfert du français, langue maternelle, à l'anglais, langue d'usage, très faible au Québec (1%), s'élevait à 35% dans le reste du pays. Il était de 10% au Nouveau-Brunswick, de 37% en Ontario et de 50% ou plus à Terre-Neuve ainsi que dans les provinces de l'Ouest et les territoires. Le taux de transfert de l'anglais, langue maternelle, au français, langue d'usage, était partout négligeable, sauf au Québec (9%).” Statistique Canada, Transferts et rétentions linguistiques, collection Dimensions, cat. 94-319, Ottawa, 1994, p.1.

En 1991, plus de 90% des francophones du Canada vivaient au Québec. Cette concentration s'accentue à tout le moins depuis le début des années 70 (le recensement a posé la question de la langue d'usage pour la première fois en 1971). En dehors du Québec, le pourcentage de la population de langue maternelle française est passé de 6% en 1971 à 4,7% en 1991. Le pourcentage de francophones réels (langue d'usage) est passé de 4,3% à 3% de la population canadienne durant la même période.

La population parlant le français à la maison a baissé, en nombre absolu, dans toutes les provinces sauf au Québec, au Nouveau-Brunswick, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon.

Depuis au moins 1971, le pourcentage de francophones (langue d'usage) dans la population est en baisse dans chacune des provinces et territoires, sauf au Québec. Même au Nouveau-Brunswick, ce pourcentage est passé de 31,4% à 30,8% entre 1971 et 1991. En 1991, il se situait à 3% en Ontario, à moins de 2,5% au Manitoba, en Nouvelle-Écosse et à l'Ile-du-Prince-Édouard, à moins de 1% à Terre-Neuve, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Au Québec, le pourcentage de la population ayant le français comme langue d'usage a progressé de 80,8% à 82,3% entre 1971 et 1991. Mais il faut noter que l'importance des francophones est de nouveau en baisse en 1991, après avoir retrouvé en 1981 le niveau de 1951 (82,5%).

Par ailleurs, la population anglophone du Québec est en baisse continuelle. De 1971 à 1991, le nombre de personnes de langue maternelle anglaise est passé de 789 185 à 599 145, tandis que le nombre de personnes dont l'anglais est la langue d'usage est passé de 887 875 à 716 155.

“Une sous-fécondité prononcée (qui ne permet pas, et de loin, de renouveler les effectifs); une forte propension à l'émigration (même en période de “faible” émigration - 1981-1986 - 10% ont quitté), sans apport significatif du côté de l'immigration “de langue maternelle anglaise”; et un gain net par transferts linguistiques dont l'évolution est pour le moins incertaine: dans de telles conditions, la décroissance “du groupe anglophone québécois” est inéluctable”.Termotte, Marc, L'évolution démolinguistique du Québec et du Canada, in Éléments d'analyse institutionnelle, juridique et démolinguistique pertinents à la révision du statut politique et constitutionnel du Québec, Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, Québec, 1991, ch. 3, p. 252.

Le Québec n'a pourtant pas parfaitement réussi à équilibrer les transferts linguistiques du français vers l'anglais et ceux de l'anglais vers le français. En 1991, l'analyse du recensement révèle que:

“Au Québec, le nombre de personnes de langue maternelle française qui ont indiqué parler l'anglais à la maison (58,000) dépassait quelque peu le nombre de personnes de langue maternelle anglaise qui ont déclaré parler le français à la maison (54,000).” Harrison, Brian, Marmen, Louise, Les langues au Canada, Statistique Canada et Prentice-Hall, collection “Le Canada à l'étude”, catalogue 96-313, 1994, p.1.

De plus, une large partie (74,8% en 1991) de la population de langue maternelle autre que le français ou l'anglais continue de parler sa langue maternelle ou adopte une mixité linguistique à la maison. Quand elle adopte l'une des langues officielles du Canada, elle choisit plus souvent l'anglais (63% de transferts linguistiques vs 37% au français). Mais globalement, l'effet de ces transferts est compensé par les migrations d'anglophones et d'allophones vers les autres régions du Canada.

“L'évolution de longue période (de 1951 à 1986) peut se résumer ainsi: pendant que le Québec se désanglicisait sans se franciser, le “reste du Canada” s'anglicisait tout en se défrancisant. Ce dernier est aujourd'hui plus anglophone que le Québec n'est francophone. Par contre, le Québec est plus allophone alors que le Canada l'est moins.” Termotte, Marc; op.cit.; p.241.

Au Québec, la pérennité du fait français est peut-être acquise à long terme, du moins en dehors de l'Île de Montréal, pour laquelle toutes les tendances indiquent une baisse du pourcentage de francophones au profit des allophones. Cependant, les gains réalisés par le Québec tiennent essentiellement à l'exercice du pouvoir politique et à l'imposition de lois et de règles qui sont de nature défensive et qui exigent un degré assez élevé de mobilisation constante de la part des forces sociales et politiques.

Or, ce rapport de forces est en partie déterminé par le poids démographique du Québec au sein du Canada et celui-ci diminue.

“La très légère francisation du Québec et la concentration croissante de la population canadienne de langue française sur le territoire du Québec s'accompagnent cependant d'une réduction significative et continuelle du poids démographique du Québec dans l'ensemble canadien, de 29% en 1951 à 25,8% en 1986 (et à 25,2% en 1991). Cette diminution de la part du Québec s'accélère (depuis la fin des années 60).” Termotte, Marc; op.cit. p.241

Toutes les analyses démographiques laissent prévoir le déclin de la population québécoise à moyen terme.

“Aujourd'hui, devant la décroissance démographique, déjà réelle pour le groupe anglophone, et fort probable, sinon inéluctable, pour le groupe francophone à l'horizon d'une génération, le problème premier devient celui des nombres. La question n'est plus seulement de savoir si le Québec parlera encore le français dans quelques générations, mais aussi combien il restera de Québécoises et de Québécois pour le parler.” Termotte, Marc; op.cit. p.276

L'assimilation et la “minorisation” de la francophonie canadienne se sont poursuivies en dépit de l'appartenance du Québec à la fédération canadienne et malgré les gains politiques présumés découlant de l'adoption de la Loi sur les langues officielles et de l'imposition de la Constitution de 1982 et de la Charte des droits et libertés qui y est associée.

La survivance des communautés francophones et acadienne semble aujourd'hui plus précaire que jamais. Et elle le sera d'autant plus que le Québec, où se concentre la francophonie nord-américaine, sera affaibli politiquement dans sa résistance aux facteurs démographiques et socio-économiques qui incitent à l'assimilation.


Les revendications actuelles des communautés francophones et acadienne

Nonobstant la tragique persistance de l'assimilation, du point de vue des principaux porte-parole actuels des communautés francophones et acadienne du Canada, la protection, la préservation et la promotion de la langue française s'appuient toujours pour l'essentiel, juridiquement et politiquement, sur la Constitution canadienne de 1982, sur la Charte des droits et libertés qu'elle comporte et sur la Loi sur les langues officielles qui prétend concrétiser le dualisme linguistique.

Pour eux, la Constitution de 1982, notamment par l'introduction de la Charte des droits et libertés, consacre une vision unitaire du Canada, où les objectifs nationaux, y compris le dualisme linguistique fondé sur les droits individuels, peuvent prédominer sur les législations provinciales qui leur sont généralement défavorables. La formulation la plus cohérente de cette conception a probablement été l'Accord du Lac Meech, qui définissait le dualisme linguistique comme une caractéristique fondamentale du Canada et qui “constitutionnalisait” les droits des communautés francophones et acadienne.

Cette conception correspond, selon eux, aux intérêts stratégiques des communautés francophones et acadienne du Canada dont la population est souvent peu concentrée géographiquement. Elle autorise en effet les francophones à exiger le respect de droits linguistiques individuels (langue juridique, enseignement en français “là où le nombre le justifie”, accès à des services publics en français, bilinguisme étatique et accès aux emplois de la fonction publique) à travers tout le territoire canadien, sans égard aux politiques provinciales et aux rapports de force locaux.

Les principaux porte-parole des communautés francophones et acadienne revendiquent auprès du gouvernement fédéral l'élargissement de la définition des droits linguistiques afin de leur attribuer une dimension collective et d'assurer leur mise en oeuvre effective par les gouvernements provinciaux.

Le peuple acadien qui est largement concentré sur une partie du territoire du Nouveau-Brunswick, pourrait (et il l'a déjà exprimé dans un passé récent) revendiquer une certaine autonomie gouvernementale et territoriale. Mais la conquête du bilinguisme officiel dans l'administration de la province, l'accessibilité à des services publics en français, les droits acquis en matière d'éducation, la prise en main d'institutions universitaires et culturelles, la création et le contrôle de moyens de communication, les succès dans certains secteurs financiers et industriels sont autant de facteurs positifs qui l'ont incité à ce jour à souhaiter la préservation de l'actuel statu quo politique, d'autant que ses droits sont régulièrement attaqués par des forces politiques anglophones chauvines.

La conception des intérêts stratégiques des communautés francophones et acadienne développée par leurs principaux porte-parole actuels, les ont conduits à adopter des positions favorables au maintien de l'État fédéral et de sa constitution actuelle. En l'absence de quelque proposition constitutionnelle qui puisse suppléer au retrait du Québec du régime fédéral canadien, il leur semble évident que le départ de 90% du “peuple fondateur” francophone saperait leur rapport de forces. Les francophones ne représentant même plus 5% de la population canadienne, l'ensemble des droits, lois, programmes et mesures qui leur permettent de subsister dans le cadre actuel s'en trouverait à leurs yeux menacé.

Les orientations globales les plus récentes exprimées, en 1993, par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFAC) sont contenues dans un document intitulé La francophonie canadienne: un espace à reconnaître. Son analyse est fondée sur la reconnaissance d'une francophonie pancanadienne.

“Le voeu sincère des communautés de s'associer au Québec est marqué par une vision d'une francophonie canadienne unique, dépouillée de frontières, qui s'approprie l'espace francophone.” FCFAC, op.cit., préface de Raymond Bisson, président et Marc Godbout, directeur général.
“Il est (...) plus juste de parler d'espaces francophones. Larges et ouverts, ils appellent la mise en place de réseaux d'alliances et de partenariats entre les francophones... les communautés francophones et acadienne doivent déborder les limites territoriales... La création d'espaces pour la francophonie canadienne est l'antithèse de l'isolement et du repli sur soi.” FCFAC, op.cit., p.11.

Du point de vue de la FCFAC, ces espaces sont à la fois politiques, culturels, institutionnels, économiques et “communicationnels”.

“Les francophones accordent beaucoup d'importance aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu'au principe de la dualité linguistique. Ils aspirent à la gestion et au développement de leurs propres institutions francophones. Ils veulent vivre en français, indépendamment du lieu où ils habitent...”
“Les communautés ne sont pas les “filles” de la Loi sur les langues officielles et des programmes de promotion des langues officielles du gouvernement fédéral... (Les francophones du Canada) refusent qu'on les considère comme des assimilés potentiels, des Québécois égarés ou des Canadiens errants”
Le nouveau discours des leaders de la francophonie canadienne préconise l'appartenance à une force francophone nationale qui contribue à l'essence même du pays plutôt que l'appartenance à une minorité linguistique.”
“Dans cette vision de la francophonie canadienne et cette conception de ses perspectives d'avenir, les communautés francophones et acadienne attribuent une responsabilité fondamentale au Québec “en tant que principal foyer de la culture française en Amérique du Nord”.
“La participation du Québec est en effet essentielle à bien des égards dans le développement des espaces francophones.” FCFAC, op.cit., pages 9, 10, 11 et 14.

Les communautés francophones et acadienne ressentent cependant une profonde amertume face à la façon dont le Québec a refusé d'assumer cette responsabilité politique lorsqu'il fallait intervenir pour appuyer leurs revendications les plus fondamentales.

Rappelant les positions prises par le gouvernement québécois (de Robert Bourassa) dans l'affaire Mahé en 1989 (dont l'enjeu était le droit de gestion d'établissements d'enseignement par les francophones) et lors de l'adoption, en 1988, des Lois 2 et 60 de la Saskatchewan et de l'Alberta déclarant ces provinces unilingues anglaises, elles concluent que:

“Bref, le Québec se garde bien de dénoncer fermement les provinces peu soucieuses de promouvoir le français.”
“Tantôt pleines d'espoir, tantôt amèrement déçues, les communautés francophones et acadienne comprennent cependant que le Québec peut difficilement les aider par la voie du discours et des actes politiques sans hypothéquer ses relations avec ses partenaires provinciaux...
“...hypothéquer leurs relations politiques et économiques avec leurs partenaires provinciaux et à miner leur marge de manoeuvre face à la minorité anglo-québécoise.” FCFAC, op.cit. pages 14 et 18.

Par ailleurs, du point de vue des porte-parole de la FCAC,

“Jusqu'à la Révolution tranquille, ... l'établissement d'une nation canadienne-française d'un océan à l'autre était un élément clé de la vocation du Québec... L'affirmation québécoise s'installant progressivement provoqua l'éclatement de la nation canadienne-française... En prenant son nouvel essor depuis la Révolution tranquille et en redéfinissant ses liens avec l'ensemble canadien, le Québec a développé un réflexe territorial.” FCFAC, op.cit., p.19.

L'affaiblissement des liens entre les institutions communautaires, religieuses, d'enseignement, etc., et leur remplacement par des relations politiques et gouvernementales auraient, selon eux, contribué à cet éloignement. Pour rétablir les ponts et rapprocher toutes les composantes de la francophonie continentale, la FCFAC souhaite que le Québec serve de “lieu de convergence des communautés” et inscrive son action autour de huit axes de collaboration:

“1. La sensibilisation des francophones à leur communauté respective;
2. Le maintien du programme d'aide financière aux associations, aux organismes et aux individus membres des communautés francophones et acadiennes;
3. La réforme de la politique québécoise sur la francophonie au Canada ainsi que du discours et des gestes politiques québécois;
4. L'appui au développement de partenariats et de collaborations entre les institutions, les organismes ainsi que les intervenantes et intervenants parapublics et privés;
5. Une accessibilité élargie à certains programmes québécois;
6. L'accessibilité à des échanges et à des programmes québécois dans le cadre de la francophonie internationale;
7. L'élargissement de la coopération interprovinciale;
8. L'organisation politique des rapports entre le Québec et les communautés francophones et acadiennes.” FCFAC, op.cit., p. 32.

Retour à la table des matières

Cliquez sur le logo pour revenir à la page de présentation