GAYS : UNITED OF KELMA
Interview : FOUAD ZERAOUI Propos recueillis par Thomas PRIMO, emale magazine.

 

Kelma, l'association des beurs gays, est un lieu d'écoute, de rencontre, de convivialité et de chaleur, qui fait écho a une réalité souvent douloureuse : les difficultés rencontrées par les homosexuels d'origine maghrébine dans leur quête de leur place dans la société francaise et dan leur comuauté d'origine. Fouad Zéraoui, fondateur et président de Kelma, nous rappelle que la liberté est une conquete de tous les instants.

Comment l'association Kelma a-t-elle vu le jour?

- En septembre 96, j'ai rencontré un homosexuel algérien, exilé à Paris, qui avait l'intention de lutter contre la discrimination homsexuelle en Algérie, par le biais de la prévention et de la recherche, contre le Sida. Ce projet n'a pas pu voir le jour, à cause des difficultés insurmontables qu'il impliquait dans ce pays. Et puis, d'après ma propre experience, je savais que les beurs gays en France avaient un besoin urgent d'écoute et de soutien. L'idée de Kelma, la parole, est née de ce constat et de cette nécéssité, en février 97. Aujourd'hui, nous comptons une cinquataine de membres. Je dois avouer qu'il y a eu très vite un conflit de pouvoir, au sein d l'association ( deux mois après sa création) qui a beaucoup perturbé le fonctionnement de Kelma. Heureusement, il y a eu une prise de conscience concernant la nécéssité de l'association et sur le devoir de solidarité que nous avions envers les jeunes générations.

Quels sont les objectifs de Kelma?

- Rompre l'isolement des homosexuels d'origine maghrébine. De fait, les sociétés du Maghreb excluent les homosexuels, ce qui représente un véritable traumatisme. Les personnes dans cette situation cumulent deux exclusions : ne pas se sentir désiré dans ce pays, en tant qu'Arabe et ensuite, en tant que Gay. Notre but est d'arriver à faire assumer à ceux qui viennent nous voir qu'ils sont Arabes et pédés. Aujourd'hui, il faut savoir qu'un jeune beur est confronté aux mêmes problèmes qu'il y a 20 ans. Il est un paria dans son pays et dans sa communauté. Cette communauté maghrébine vit une telle crise, est tellement renfermée sur elle-même qu'elle n'est déjà pas capable d'affronter ses propres fantômes. Tout simplement parce qu'elle n'est pas bien calée dans ce pays.

Quelle est la réalité des problèmes rencontrés par les beurs gays, dans leur famille et leur entourage?

C'est la troisième forme d'exclusion que nous rencontrons. Celle venant de sa propre communauté. Il n'y a pas de place pour l'homosexualité et les homosexuels, chez les Maghrébins aujourd'hui. Un jeune beur qui ose avouer son homosexualité à sa famille sera tout simplement exclu. Or, ces jeunes-là n'ont pas d'autre repères que leur communauté. C'est un ventre chaud. La communauté maghrébine, en soi, est le véritable noeud du problème. Il y a déjà une difficulté à s'affirmer comme individu tout court, parce que la communauté l'emporte traditionnellement sur la personne. Le problème est de savoir comment s'affirmer tout en évitant d'être rejeté. le dilemme est de ne pas pouvoir dire qu'on est pédé, de peur d'échouer au test d'amour de sa famille.

Et votre parcours personnel?

- Mon parcours est le parcours classique du beur gay. J'étais complètement coincé, à 18 ans et j'avais des problèmes d'identité sexuelle et sociale, comme tous les autres. j'ai mis du temps, avant de me trouver. Il y a quatre ans encore, je n'avais pas réglé toutes les questions. D'ailleurs Kelma me sert aussi pour moi, et je n'ai pas encore fait la totalité du chemin. Je peus néanmoins apporter ma propre experience aux jeunes beurs gays. je sais que le danger est d'abandonner. Et cette tentation est grande. Personnellement ma pulsion de vie a été la plus forte. Aujourd'hui, je trouve que c'est une aventure merveilleuse et enrichissante, d'être homo et maghrébin. C'est quelque chose qui m'a véritablement construit.


Quelle est la responsabilité de l'Islam, dans cette homophobie?


- Il y a un gros flou, par rapport à la religion ( comme dans toutes les sociétés) et qui permet plusieurs interprétations. Le problème s'inscrit dans une réalité aussi bien culturelle que religieuse. Au Maghreb, un garçon est élevé comme un roi, par sa mère, qui lui donne tous les pouvoirs. Une fois confronté à la vie quotidienne, le jeune Maghrébin va se sentir fatalement diminué. Pour retrouver ce pouvoir qui lui a été volé en quelque sorte, il fait appel à la religion. La religion musulmane consacre l'homme. Il règne partout et son image est tellement valorisée qu'il finit par se désirer, par s'aimer lui-même. Il jouit de sa situation d'homme. En France, dans une société où tout le monde est, en principe, sur le même pied d'égalité, l'homme, originaire du Maghreb doit faire ses preuves, sous peine d'être renvoyé à la triste réalité des faits. A ce moment-là, la religion représente une bouée de sauvetage. Et le fait d'être musulman oblige l'individu à se figer dans une communauté don il faut impérativement sortir, dont il faut faire son deuil, une fois pour toutes, de façon à affirmer pleinement son individualité et sa sexualité.

Quelle est la situation des gays, au Maghreb?

Il est impossible de revendiquer son homosexualité, sauf si on a beaucoup d'argent et un statut social élevé. Les autres sont condamnés à la marginalité, au mariage, ou pire, à vivre dans leur famille, dans une totale et insupportable schizophrénie. Ceux qui ont cédé à la pression familiale et qui se sont mariés ont au moins la paix et peuvent faire, à peu près, ce que bon leur semble.

Quelle est votre opinion, concernant les fantasmes liès aux beurs et est-ce que certaines personnes ont vu, dans Kelma, l'occasion d'assouvir ces fantasmes?

- Il y a eu très vite un débat, à ce sujet. Nous ne voulions pas être un " Long Yang Club " bis. Je ne condamne pas ces pratique, mais Kelma n'est pas un lieu de rencontre pour ceux qui aiment les Maghrébins. Même si je n'ai rien contre, il y aurait quand même beaucoup à redire sur le côté réducteur lié au désir de domination, qu'il soit culturel ou autre. Nous sommes là pour aider les beurs à vancer, pas pour les donner en pâture! L'association est ouverte à tous, sans distinction, sauf les groupes de parole, de soutien et de convivialité. Le travail doit se faire entre nous. Je reste persuadé que seul un maghrébin peut se mettre dans la peau d'un Maghrébin et être capable de le comprendre.

Votre action donne-t-elle déjà des résultats visibles?

Tout d'abord, un tabou est levé. Les beurs fréquentent de plus en plus d'autres beurs. Ils n'ont plus honte d'avoir des relations, avec quelqu'un de leur origine. beaucoup de couples se forment chez Kelma. Et puis l'assocation a également permis de rompre l'isolement de beaucoup de beurs gays de banlieue et ça, c'est un résultat important. Il y a beaucoup de personnes totalement isolées qui ont réussir à se sortir de cette solitude, grâce à Kelma. Les groupes d'amis qui se sont constitués recréent une véritable famille, alors qu'ils sont déjà en rupture, de fait, avec leur famille biologique.

Comment Kelma a-t-il été perçu, dans le milieu gay?

Kelma était perçu comme un fait surprenant et courageux, à la fois, comme s'il n'y avait que des intégristes en puissance, chez les Arabes. Dans les années 80, l'individu a été occulté au profit de l'idéologie du tout commercial. On était pédé, parcequ'on consommait. Qui s'est demandé, au fond, quel était le sens de l'homosexualité et quelle place nous avions, dans la société? Tout ce dont les homos sont capables, c'est d'avoir cette attitude infantile qui consiste à croire que la société nous empêche de jouir. Tout celà a finalement dégénéré vers ce fascisme latent, qui est cet idéal de la masculinité, excluant totalement l'idividu, la femme(et partiellement celui qui est d'une origine différente de la sienne), au profit d'un fantasme hétéro et terrible de masculinité exacerbée et agressive! Conséquence logique de la culture consumériste des années 80. Ce désir inavoué de rejoindre l'hétérosexualité est un échec absolu de l'homosexualité en France. Un homme, ce n'est pas un mec bodybuildé qui porte des jens moulants. L'homosexualité est une richesse et n'a rien à voir avec le clonage ridicule dont nous sommes témoins actuellement.