Comment
l'association Kelma a-t-elle vu le jour?
-
En septembre 96, j'ai rencontré un homosexuel algérien, exilé à Paris,
qui avait l'intention de lutter contre la discrimination homsexuelle
en Algérie, par le biais de la prévention et de la recherche, contre
le Sida. Ce projet n'a pas pu voir le jour, à cause des difficultés
insurmontables qu'il impliquait dans ce pays. Et puis, d'après ma propre
experience, je savais que les beurs gays en France avaient un besoin
urgent d'écoute et de soutien. L'idée de Kelma, la parole, est
née de ce constat et de cette nécéssité, en février 97. Aujourd'hui,
nous comptons une cinquataine de membres. Je dois avouer qu'il y a eu
très vite un conflit de pouvoir, au sein d l'association ( deux mois
après sa création) qui a beaucoup perturbé le fonctionnement de Kelma.
Heureusement, il y a eu une prise de conscience concernant la nécéssité
de l'association et sur le devoir de solidarité que nous avions envers
les jeunes générations.
Quels sont les objectifs
de Kelma?
- Rompre l'isolement des homosexuels d'origine maghrébine. De
fait, les sociétés du Maghreb excluent les homosexuels, ce qui représente
un véritable traumatisme. Les personnes dans cette situation cumulent
deux exclusions : ne pas se sentir désiré dans ce pays, en tant qu'Arabe
et ensuite, en tant que Gay. Notre but est d'arriver à faire assumer
à ceux qui viennent nous voir qu'ils sont Arabes et pédés. Aujourd'hui,
il faut savoir qu'un jeune beur est confronté aux mêmes problèmes qu'il
y a 20 ans. Il est un paria dans son pays et dans sa communauté. Cette
communauté maghrébine vit une telle crise, est tellement renfermée sur
elle-même qu'elle n'est déjà pas capable d'affronter ses propres fantômes.
Tout simplement parce qu'elle n'est pas bien calée dans ce pays.
Quelle est la réalité des problèmes rencontrés
par les beurs gays, dans leur famille et leur entourage?
C'est la troisième forme d'exclusion que nous rencontrons. Celle
venant de sa propre communauté. Il n'y a pas de place pour l'homosexualité
et les homosexuels, chez les Maghrébins aujourd'hui. Un jeune beur qui
ose avouer son homosexualité à sa famille sera tout simplement exclu.
Or, ces jeunes-là n'ont pas d'autre repères que leur communauté. C'est
un ventre chaud. La communauté maghrébine, en soi, est le véritable
noeud du problème. Il y a déjà une difficulté à s'affirmer comme individu
tout court, parce que la communauté l'emporte traditionnellement sur
la personne. Le problème est de savoir comment s'affirmer tout en évitant
d'être rejeté. le dilemme est de ne pas pouvoir dire qu'on est pédé,
de peur d'échouer au test d'amour de sa famille.
Et votre parcours personnel?
- Mon parcours est le parcours classique du beur gay. J'étais complètement
coincé, à 18 ans et j'avais des problèmes d'identité sexuelle et sociale,
comme tous les autres. j'ai mis du temps, avant de me trouver. Il y
a quatre ans encore, je n'avais pas réglé toutes les questions. D'ailleurs
Kelma me sert aussi pour moi, et je n'ai pas encore fait la totalité
du chemin. Je peus néanmoins apporter ma propre experience aux jeunes
beurs gays. je sais que le danger est d'abandonner. Et cette tentation
est grande. Personnellement ma pulsion de vie a été la plus forte. Aujourd'hui,
je trouve que c'est une aventure merveilleuse et enrichissante, d'être
homo et maghrébin. C'est quelque chose qui m'a véritablement construit.
Quelle est la responsabilité de l'Islam, dans cette homophobie?
- Il y a un gros flou, par rapport à la religion ( comme dans toutes
les sociétés) et qui permet plusieurs interprétations. Le problème s'inscrit
dans une réalité aussi bien culturelle que religieuse. Au Maghreb, un
garçon est élevé comme un roi, par sa mère, qui lui donne tous les pouvoirs.
Une fois confronté à la vie quotidienne, le jeune Maghrébin va se sentir
fatalement diminué. Pour retrouver ce pouvoir qui lui a été volé en
quelque sorte, il fait appel à la religion. La religion musulmane consacre
l'homme. Il règne partout et son image est tellement valorisée qu'il
finit par se désirer, par s'aimer lui-même. Il jouit de sa situation
d'homme. En France, dans une société où tout le monde est, en principe,
sur le même pied d'égalité, l'homme, originaire du Maghreb doit faire
ses preuves, sous peine d'être renvoyé à la triste réalité des faits.
A ce moment-là, la religion représente une bouée de sauvetage. Et le
fait d'être musulman oblige l'individu à se figer dans une communauté
don il faut impérativement sortir, dont il faut faire son deuil, une
fois pour toutes, de façon à affirmer pleinement son individualité et
sa sexualité.
Quelle est la situation des gays, au Maghreb?
Il est impossible de revendiquer son homosexualité, sauf si on a beaucoup
d'argent et un statut social élevé. Les autres sont condamnés à la marginalité,
au mariage, ou pire, à vivre dans leur famille, dans une totale et insupportable
schizophrénie. Ceux qui ont cédé à la pression familiale et qui se sont
mariés ont au moins la paix et peuvent faire, à peu près, ce que bon
leur semble.
Quelle est votre opinion, concernant les
fantasmes liès aux beurs et est-ce que certaines personnes ont vu, dans
Kelma, l'occasion d'assouvir ces fantasmes?
- Il y a eu très vite un débat, à ce sujet. Nous ne voulions pas être
un " Long Yang Club " bis. Je ne condamne pas ces pratique, mais Kelma
n'est pas un lieu de rencontre pour ceux qui aiment les Maghrébins.
Même si je n'ai rien contre, il y aurait quand même beaucoup à redire
sur le côté réducteur lié au désir de domination, qu'il soit culturel
ou autre. Nous sommes là pour aider les beurs à vancer, pas pour les
donner en pâture! L'association est ouverte à tous, sans distinction,
sauf les groupes de parole, de soutien et de convivialité. Le travail
doit se faire entre nous. Je reste persuadé que seul un maghrébin peut
se mettre dans la peau d'un Maghrébin et être capable de le comprendre.
Votre action donne-t-elle déjà des résultats
visibles?
Tout d'abord, un tabou est levé. Les beurs fréquentent de plus en plus
d'autres beurs. Ils n'ont plus honte d'avoir des relations, avec quelqu'un
de leur origine. beaucoup de couples se forment chez Kelma. Et
puis l'assocation a également permis de rompre l'isolement de beaucoup
de beurs gays de banlieue et ça, c'est un résultat important. Il y a
beaucoup de personnes totalement isolées qui ont réussir à se sortir
de cette solitude, grâce à Kelma. Les groupes d'amis qui se sont
constitués recréent une véritable famille, alors qu'ils sont déjà en
rupture, de fait, avec leur famille biologique.
Comment Kelma a-t-il été perçu, dans le milieu
gay?
Kelma était perçu comme un fait surprenant et courageux, à la
fois, comme s'il n'y avait que des intégristes en puissance, chez les
Arabes. Dans les années 80, l'individu a été occulté au profit de l'idéologie
du tout commercial. On était pédé, parcequ'on consommait. Qui s'est
demandé, au fond, quel était le sens de l'homosexualité et quelle place
nous avions, dans la société? Tout ce dont les homos sont capables,
c'est d'avoir cette attitude infantile qui consiste à croire que la
société nous empêche de jouir. Tout celà a finalement dégénéré vers
ce fascisme latent, qui est cet idéal de la masculinité, excluant totalement
l'idividu, la femme(et partiellement celui qui est d'une origine différente
de la sienne), au profit d'un fantasme hétéro et terrible de masculinité
exacerbée et agressive! Conséquence logique de la culture consumériste
des années 80. Ce désir inavoué de rejoindre l'hétérosexualité est un
échec absolu de l'homosexualité en France. Un homme, ce n'est pas un
mec bodybuildé qui porte des jens moulants. L'homosexualité est une
richesse et n'a rien à voir avec le clonage ridicule dont nous sommes
témoins actuellement.
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