Le
Synopsis :
Dix ans après l'indépendance de l'Algérie,
le poète pied-noir Jean Senac qui a choisi d'y demeurer,
est surveillé par la police du régime. Ses prises
de position en faveur des minorités, sa défense
de la langue française et son homosexualité
affichée irritent le nouveau régime.
Dans tout le pays, un public populaire se presse pour assister
à ses récitals poétiques et son émission
radiophonique « Poésie sur tous les fronts »
rencontre un incroyable succès auprès de la
jeunesse.
Hamid et Belkacem, jeunes étudiants dont la pièce
vient d'être disqualifiée par le Festival de
Théâtre Algérien, car écrite en
français ont devenir très proches du poète
et assisteront à son combat afin de défendre
sa différence, la culture et la dignité de la
jeunesse algérienne.
Dans ce film sur la liberté, l'amour, la réalisation
de soi et le difficile passage à l'âge adulte,
trois êtres humains heureux et comme hors du temps mais
irrémédiablement condamnés s'opposent
à un système qui les nie.
L'Entretien avec Abdelkrim Bahloul
:
Après quatre long-métrages qui prenaient pour
décor la France contemporaine, Le Soleil assassiné
revient sur l'Algérie et sur votre jeunesse, à
travers la figure du poète Jean Sénac.
D'où est venue cette
envie ?
Au début des années quatre-vingt-dix, l'Algérie
est entrée de façon foudroyante dans la guerre
civile. Les massacres ont commencé, les horreurs ont
succédé aux horreurs. J'ai eu l'idée
de consacrer un documentaire à Jean Sénac qui
avait prédit ces années sombres :
« …J'entrevois de longs cortèges blafards
avec des cercueils verts et blancs ».
Vingt ans après sa mort, Jean Sénac, cette figure
de paix et de liberté, était à peu près
oublié en France et ignorée en Algérie,
alors que Sénac avait passé toute sa vie à
faire le pont entre les deux rives de la Méditerranée.
Dans le projet que j'ai rédigé, je présentais
Jean Sénac à la fois comme un symbole et un
visionnaire : Après trois années, de 1962 à
1965, pendant lesquelles il avait été heureux
en Algérie, Jean Sénac, de 1965 à 1973
(l'année de son assassinat) avait été
mis à l'écart puis persécuté pour
sa différence, parce qu'il était d'origine européenne,
catholique, francophone, et qui plus est homosexuel dans un
pays se réclamant de l'Islam.
Votre film est très critique
sur cette période. Pourtant elle peut sembler heureuse
comparée à la tragédie qu'a vécue
l'Algérie ces dix dernières années.
Justement, on veut nous faire croire aujourd'hui que cette
époque était idyllique, qu'elle se passait sous
les bons auspices de l'indépendance, de la révolution
algérienne, du non-alignement. C'est pourtant à
cette époque-là que l'on a commencé à
opposer les Algériens entre eux -les démocrates
contre les islamistes (que l'on appelait à l'époque
les Frères Musulmans)-, que l'on a voulu imposer à
tout le pays le moule arabo-musulman.
Par démagogie, il a été ainsi décidé
d'arabiser à marche forcée. L'arabisation, qui
a commencé aux alentours de 1972, a été
menée de manière tellement hâtive et dogmatique
qu'elle ne pouvait aller qu'à l'échec. On a
formé des centaines de milliers de gens incapables
de trouver leur place sur le marché du travail, tout
simplement parce que, quinze ans plus tard, les affaires se
faisaient encore en français. Les diplômés,
laissés à la rue, ont formé la base du
parti islamiste, le FIS, qui allait prendre le pouvoir en
1991 mais qui en a été empêché
par l'armée.
Le documentaire ne s'est pas
fait…
Non, et j'ai mis le projet de côté. Et puis en
1996 il y a eu l'assassinat des moines de Tibehirine. J'ai
éprouvé alors la même honte que celle
ressentie lorsque j'avais appris l'assassinat de Sénac
en 1973. L'idée que l'on s'attaquait lâchement
aux plus fragiles, à ceux qui s'étaient installés
parmi nous -en Algérie- pour partager notre labeur
et nos peines m'était insupportable. Le film sur Sénac
m'a paru d'autant plus nécessaire, urgent. Devant la
difficulté à monter un documentaire, j'ai pensé
à écrire une fiction qui s'inspirerait de la
vie de Sénac. Le scénario a obtenu l'Avance
sur recettes du CNC puis séduit Martine de Clermont-Tonnerre
et les frères Dardenne, qui ont décidé
de coproduire le film.
Comment la fiction a-t-elle pris forme ? Pour tout ce qui
concernait Sénac, je me suis appuyé sur son
ami Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, sur Jacques Miel son
fils adoptif, sur Nathalie Garrigues-Josse, son amie fidèle
des mauvais jours et que l'on aperçoit dans le film.
Et pour le reste j'ai puisé dans mes souvenirs personnels
: à partir du moment où je parlais d'un personnage
ayant existé, je me sentais tenu de coller à
une réalité vécue et j'ai ainsi écrit
un scénario de fiction à partir d'une majorité
de faits réels.
Connaissiez vous Sénac à l'époque
?
Pas personnellement. Mais quand j'étais élève
au Conservatoire d'Alger, j'écoutais son émission
à la radio, « Poésie sur tous les fronts
». J'ai même passé un concours pour travailler
avec lui. Et puis j'ai eu une bourse pour aller étudier
en France et j'ai quitté l'Algérie à
ce moment-là. J'étais à Paris quand j'ai
appris sa mort. J'aurais aimé être en Algérie
pour pouvoir exprimer ma honte.
Il était important pour vous de relier Sénac
à ces jeunes personnages ?
Sénac a passé toute sa vie à lutter pour
la liberté de la jeunesse algérienne. Le film
raconte une suite de désillusions, vécues par
Sénac, par ces jeunes gens, par l'ensemble de l'Algérie
après l'indépendance. Mais ces désillusions
sont aussi les étapes du passage à l'âge
adulte pour les deux jeunes. Ce qui m'importait c'était
de dire que rien n'est jamais gagné, que tout est toujours
à refaire. « Il n'y a pas de liberté,
il n'y a que le combat pour la liberté » comme
l'écrit le romancier grec Nikos Kazantzaki. C'est ce
qu'Hamid comprend à la mort de Sénac : le jeune
poète romantique et rêveur devient un citoyen,
une conscience.
Mais la mort même de Sénac a été
étouffée, escamotée. En 1983 à
Alger un colloque devait être consacré à
Sénac pour le dixième anniversaire de sa mort.
Les Frères Musulmans ont réussi à faire
annuler ce colloque. Leur laisser faire ça, c'était
leur ouvrir grand la porte.
On sent dans le film que Sénac a accepté
très tôt cette mort annoncée, son destin
de martyr.
Sénac se sentait tellement algérien qu'il a
voulu que même sa mort soit algérienne et serve
la jeunesse de son pays… Il avait une dimension christique
-à l'âge de dix-huit ans, il avait d'ailleurs
était tenté par la prêtrise. Et puis il
est tombé malade et a passé quelques années
dans un sanatorium. C'est là qu'il a découvert
sa vocation poétique et qu'il a commencé à
correspondre avec Albert Camus et René Char dont il
s'est fait des amis. Il n'a jamais connu son vrai père
; Sénac est le nom de son père adoptif. Et cette
qualité d'orphelin, il l'a retrouvé chez tout
un peuple, le peuple algérien, déshérité,
démuni, sans racine. Il s'est mêlé à
lui et est devenu l'un de ses porte-drapeaux.
Sénac a fini par devenir étranger dans son propre
pays. Le film parle de la difficulté d'une nation à
accepter sa propre diversité. Les autorités
-contrairement à l'algérien de la rue- ont dénié
à Sénac sa qualité d'Algérien
alors que sa famille était là depuis cinq générations
et qu'il s'était battu au sein du F.L.N pour l'indépendance.
C'est aussi pour cela que j'ai fait ce film, pour montrer
que le racisme ne se trouve pas que dans certains pays. Après
1962 le pouvoir algérien a procédé à
une réécriture de l'histoire qu'on peut qualifier
de raciste : on a imposé une vision monolithique de
la Révolution algérienne, on a diabolisé
l'esprit français en oubliant que des gens comme Mauriac,
Gisèle Halimi ou Sénac s'étaient aussi
battus pour elle. Sénac ne se privait pas de le dire
haut et fort, alors que les intellectuels algériens,
par peur ou par fidélité à la révolution,
se taisaient.
Son homosexualité gênait
aussi…
Ce fut moins la cause que le prétexte de sa disgrâce,
son talon d'Achille. Ses ennemis s'en sont servi contre lui
pour tenter de le discréditer auprès de la masse
de la population algérienne. A l'époque je pouvais
lire des articles dans les journaux universitaires sur «
Sénac, ce chantre de la pédale ». Tout
cela devait être orchestré en sous-main par des
politiques.
Paradoxalement Le Soleil assassiné
est un film optimiste
Sénac l'a écrit lui-même dans un très
beau vers : « Et vous verrez, jeunes gens, que ma mort
est optimiste. » La jeunesse de l'époque était
optimiste. L'Algérie était jeune, nous étions
forts et fougueux, et nous allions faire de notre pays un
pays merveilleux. Aujourd'hui à nouveau je pense que
le temps va revenir à l'optimisme : l'Algérie
a payé le prix du sang (on parle de 200 000 morts depuis
1992), le drame est derrière nous. C'est un film qui
parle aux jeunes, puisque,encore une fois, tout est à
faire. Je pensais avoir fait un film difficile, qui parle
de poésie, de politique, d'homosexualité…
un film pour les adultes. Hors le film - à cause de
l'optimisme des deux jeunes héros - plaît aussi
aux adolescents. Cela me touche beaucoup.
La poésie de Sénac
passe plutôt bien l'écran, elle n'a pas l'air
artificielle ou démodée.
Les vers que j'ai mis dans le film ne sont pas abscons ; ils
sont accessibles au public le plus large. Je tenais à
prendre la poésie comme élément moteur
du film. La poésie qui restitue aux mots leur sens
premier est l'ennemi de la langue de bois et de la démagogie.
C'est pour cela que les dictateurs s'en prennent aux poètes.
Mais dans le film, elle a aussi une fonction apaisante, comme
la musique.
C'est un film très lumineux aussi.
En préparant le film avec mon chef-opérateur
Charlie Van Damme on se demandait sans cesse : comment faire
pour ne pas filmer uniquement des dialogues ? La lumière
est devenue un élément essentiel. Nous voulions
fixer la beauté des paysages, celle des corps, en référence
par exemple à Noces d'Albert Camus qui devant la mer
écrivait cette phrase : « Je comprends ici ce
qu'on appelle Gloire : le droit d'aimer sans limites. »
Une phrase qui peut s'appliquer à la vie de Sénac.
Le film est aussi servi par l'interprétation
de Charles Berling.
Il n'était pas question de chercher la ressemblance
physique, le mimétisme. J'ai voulu Charles Berling
après avoir été épaté par
la subtilité de son jeu dans Comment j'ai tué
mon père d'Anne Fontaine. Il ne cherche pas la performance,
l'effet facile, il est au dela de l'interprétation
: le personnage sourd de lui comme l'eau de la terre. A la
lecture du scénario, il a tout de suite aimé
Sénac, ses poèmes et sa vie. L'atout de Charles
Berling c'est le bleu de son regard. Le premier plan du film
s'ouvre sur ce regard : la beauté du regard de Charles
Berling devient la beauté de l'âme du poète.
Quant aux deux jeunes acteurs, ils viennent d'horizons assez
différents :
Ouassini Embarek a déjà de l'expérience
, à l'âge de treize ans il a joué dans
Bye-Bye de Karim Dridi, il a plusieurs films et téléfilms
derrière lui. Pour Mehdi Dehbi on a eu beaucoup de
mal à trouver un acteur qui ait en lui cette pureté,
cet idéalisme d'un jeune poète en devenir que
nous recherchions. Ce sont les frères Dardenne qui
l'ont déniché, lors d'un casting en Belgique.
Malgré sa jeunesse (il n'avait que 16 ans), Mehdi a
su prendre en charge le personnage de Hamid décrit
dans le script comme un étudiant de dix huit ans ou
dix neuf ans. Je crois que les spectateurs ne sont pas insensibles
à son charme : il a pu le constater lui même
dès la projection du film à Venise où
il a été très entouré par le jeune
public.
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