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Le soleil assassiné

de Abdelkrim Bahloul

avec Charles Berling, Mehdi Dehbi, Ouassini Embarek
Sortie du film le 18 août.



Dix ans après l'indépendance de l'Algérie, la rencontre entre Hamid et Belkacem, deux adolescents rêvant de théâtre et de gloire, et Jean Sénac pied-noir, poète et homosexuel, va bouleverser leur vie. Ce film ensoleillé et tragique est le parcours d'un homme qui, toute sa vie, a lutté pour la liberté et la culture de la jeunesse algérienne.

Le Synopsis :
Dix ans après l'indépendance de l'Algérie, le poète pied-noir Jean Senac qui a choisi d'y demeurer, est surveillé par la police du régime. Ses prises de position en faveur des minorités, sa défense de la langue française et son homosexualité affichée irritent le nouveau régime.
Dans tout le pays, un public populaire se presse pour assister à ses récitals poétiques et son émission radiophonique « Poésie sur tous les fronts » rencontre un incroyable succès auprès de la jeunesse.
Hamid et Belkacem, jeunes étudiants dont la pièce vient d'être disqualifiée par le Festival de Théâtre Algérien, car écrite en français ont devenir très proches du poète et assisteront à son combat afin de défendre sa différence, la culture et la dignité de la jeunesse algérienne.
Dans ce film sur la liberté, l'amour, la réalisation de soi et le difficile passage à l'âge adulte, trois êtres humains heureux et comme hors du temps mais irrémédiablement condamnés s'opposent à un système qui les nie.

L'Entretien avec Abdelkrim Bahloul :
Après quatre long-métrages qui prenaient pour décor la France contemporaine, Le Soleil assassiné revient sur l'Algérie et sur votre jeunesse, à travers la figure du poète Jean Sénac.

D'où est venue cette envie ?
Au début des années quatre-vingt-dix, l'Algérie est entrée de façon foudroyante dans la guerre civile. Les massacres ont commencé, les horreurs ont succédé aux horreurs. J'ai eu l'idée de consacrer un documentaire à Jean Sénac qui avait prédit ces années sombres :
« …J'entrevois de longs cortèges blafards avec des cercueils verts et blancs ».

Vingt ans après sa mort, Jean Sénac, cette figure de paix et de liberté, était à peu près oublié en France et ignorée en Algérie, alors que Sénac avait passé toute sa vie à faire le pont entre les deux rives de la Méditerranée. Dans le projet que j'ai rédigé, je présentais Jean Sénac à la fois comme un symbole et un visionnaire : Après trois années, de 1962 à 1965, pendant lesquelles il avait été heureux en Algérie, Jean Sénac, de 1965 à 1973 (l'année de son assassinat) avait été mis à l'écart puis persécuté pour sa différence, parce qu'il était d'origine européenne, catholique, francophone, et qui plus est homosexuel dans un pays se réclamant de l'Islam.

Votre film est très critique sur cette période. Pourtant elle peut sembler heureuse comparée à la tragédie qu'a vécue l'Algérie ces dix dernières années.
Justement, on veut nous faire croire aujourd'hui que cette époque était idyllique, qu'elle se passait sous les bons auspices de l'indépendance, de la révolution algérienne, du non-alignement. C'est pourtant à cette époque-là que l'on a commencé à opposer les Algériens entre eux -les démocrates contre les islamistes (que l'on appelait à l'époque les Frères Musulmans)-, que l'on a voulu imposer à tout le pays le moule arabo-musulman.
Par démagogie, il a été ainsi décidé d'arabiser à marche forcée. L'arabisation, qui a commencé aux alentours de 1972, a été menée de manière tellement hâtive et dogmatique qu'elle ne pouvait aller qu'à l'échec. On a formé des centaines de milliers de gens incapables de trouver leur place sur le marché du travail, tout simplement parce que, quinze ans plus tard, les affaires se faisaient encore en français. Les diplômés, laissés à la rue, ont formé la base du parti islamiste, le FIS, qui allait prendre le pouvoir en 1991 mais qui en a été empêché par l'armée.

Le documentaire ne s'est pas fait…
Non, et j'ai mis le projet de côté. Et puis en 1996 il y a eu l'assassinat des moines de Tibehirine. J'ai éprouvé alors la même honte que celle ressentie lorsque j'avais appris l'assassinat de Sénac en 1973. L'idée que l'on s'attaquait lâchement aux plus fragiles, à ceux qui s'étaient installés parmi nous -en Algérie- pour partager notre labeur et nos peines m'était insupportable. Le film sur Sénac m'a paru d'autant plus nécessaire, urgent. Devant la difficulté à monter un documentaire, j'ai pensé à écrire une fiction qui s'inspirerait de la vie de Sénac. Le scénario a obtenu l'Avance sur recettes du CNC puis séduit Martine de Clermont-Tonnerre et les frères Dardenne, qui ont décidé de coproduire le film.
Comment la fiction a-t-elle pris forme ? Pour tout ce qui concernait Sénac, je me suis appuyé sur son ami Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, sur Jacques Miel son fils adoptif, sur Nathalie Garrigues-Josse, son amie fidèle des mauvais jours et que l'on aperçoit dans le film. Et pour le reste j'ai puisé dans mes souvenirs personnels : à partir du moment où je parlais d'un personnage ayant existé, je me sentais tenu de coller à une réalité vécue et j'ai ainsi écrit un scénario de fiction à partir d'une majorité de faits réels.

Connaissiez vous Sénac à l'époque ?
Pas personnellement. Mais quand j'étais élève au Conservatoire d'Alger, j'écoutais son émission à la radio, « Poésie sur tous les fronts ». J'ai même passé un concours pour travailler avec lui. Et puis j'ai eu une bourse pour aller étudier en France et j'ai quitté l'Algérie à ce moment-là. J'étais à Paris quand j'ai appris sa mort. J'aurais aimé être en Algérie pour pouvoir exprimer ma honte.

Il était important pour vous de relier Sénac à ces jeunes personnages ?
Sénac a passé toute sa vie à lutter pour la liberté de la jeunesse algérienne. Le film raconte une suite de désillusions, vécues par Sénac, par ces jeunes gens, par l'ensemble de l'Algérie après l'indépendance. Mais ces désillusions sont aussi les étapes du passage à l'âge adulte pour les deux jeunes. Ce qui m'importait c'était de dire que rien n'est jamais gagné, que tout est toujours à refaire. « Il n'y a pas de liberté, il n'y a que le combat pour la liberté » comme l'écrit le romancier grec Nikos Kazantzaki. C'est ce qu'Hamid comprend à la mort de Sénac : le jeune poète romantique et rêveur devient un citoyen, une conscience.
Mais la mort même de Sénac a été étouffée, escamotée. En 1983 à Alger un colloque devait être consacré à Sénac pour le dixième anniversaire de sa mort. Les Frères Musulmans ont réussi à faire annuler ce colloque. Leur laisser faire ça, c'était leur ouvrir grand la porte.

On sent dans le film que Sénac a accepté très tôt cette mort annoncée, son destin de martyr.
Sénac se sentait tellement algérien qu'il a voulu que même sa mort soit algérienne et serve la jeunesse de son pays… Il avait une dimension christique -à l'âge de dix-huit ans, il avait d'ailleurs était tenté par la prêtrise. Et puis il est tombé malade et a passé quelques années dans un sanatorium. C'est là qu'il a découvert sa vocation poétique et qu'il a commencé à correspondre avec Albert Camus et René Char dont il s'est fait des amis. Il n'a jamais connu son vrai père ; Sénac est le nom de son père adoptif. Et cette qualité d'orphelin, il l'a retrouvé chez tout un peuple, le peuple algérien, déshérité, démuni, sans racine. Il s'est mêlé à lui et est devenu l'un de ses porte-drapeaux.
Sénac a fini par devenir étranger dans son propre pays. Le film parle de la difficulté d'une nation à accepter sa propre diversité. Les autorités -contrairement à l'algérien de la rue- ont dénié à Sénac sa qualité d'Algérien alors que sa famille était là depuis cinq générations et qu'il s'était battu au sein du F.L.N pour l'indépendance. C'est aussi pour cela que j'ai fait ce film, pour montrer que le racisme ne se trouve pas que dans certains pays. Après 1962 le pouvoir algérien a procédé à une réécriture de l'histoire qu'on peut qualifier de raciste : on a imposé une vision monolithique de la Révolution algérienne, on a diabolisé l'esprit français en oubliant que des gens comme Mauriac, Gisèle Halimi ou Sénac s'étaient aussi battus pour elle. Sénac ne se privait pas de le dire haut et fort, alors que les intellectuels algériens, par peur ou par fidélité à la révolution, se taisaient.

Son homosexualité gênait aussi…
Ce fut moins la cause que le prétexte de sa disgrâce, son talon d'Achille. Ses ennemis s'en sont servi contre lui pour tenter de le discréditer auprès de la masse de la population algérienne. A l'époque je pouvais lire des articles dans les journaux universitaires sur « Sénac, ce chantre de la pédale ». Tout cela devait être orchestré en sous-main par des politiques.

Paradoxalement Le Soleil assassiné est un film optimiste
Sénac l'a écrit lui-même dans un très beau vers : « Et vous verrez, jeunes gens, que ma mort est optimiste. » La jeunesse de l'époque était optimiste. L'Algérie était jeune, nous étions forts et fougueux, et nous allions faire de notre pays un pays merveilleux. Aujourd'hui à nouveau je pense que le temps va revenir à l'optimisme : l'Algérie a payé le prix du sang (on parle de 200 000 morts depuis 1992), le drame est derrière nous. C'est un film qui parle aux jeunes, puisque,encore une fois, tout est à faire. Je pensais avoir fait un film difficile, qui parle de poésie, de politique, d'homosexualité… un film pour les adultes. Hors le film - à cause de l'optimisme des deux jeunes héros - plaît aussi aux adolescents. Cela me touche beaucoup.

La poésie de Sénac passe plutôt bien l'écran, elle n'a pas l'air artificielle ou démodée.
Les vers que j'ai mis dans le film ne sont pas abscons ; ils sont accessibles au public le plus large. Je tenais à prendre la poésie comme élément moteur du film. La poésie qui restitue aux mots leur sens premier est l'ennemi de la langue de bois et de la démagogie. C'est pour cela que les dictateurs s'en prennent aux poètes. Mais dans le film, elle a aussi une fonction apaisante, comme la musique.


C'est un film très lumineux aussi.
En préparant le film avec mon chef-opérateur Charlie Van Damme on se demandait sans cesse : comment faire pour ne pas filmer uniquement des dialogues ? La lumière est devenue un élément essentiel. Nous voulions fixer la beauté des paysages, celle des corps, en référence par exemple à Noces d'Albert Camus qui devant la mer écrivait cette phrase : « Je comprends ici ce qu'on appelle Gloire : le droit d'aimer sans limites. » Une phrase qui peut s'appliquer à la vie de Sénac.


Le film est aussi servi par l'interprétation de Charles Berling.
Il n'était pas question de chercher la ressemblance physique, le mimétisme. J'ai voulu Charles Berling après avoir été épaté par la subtilité de son jeu dans Comment j'ai tué mon père d'Anne Fontaine. Il ne cherche pas la performance, l'effet facile, il est au dela de l'interprétation : le personnage sourd de lui comme l'eau de la terre. A la lecture du scénario, il a tout de suite aimé Sénac, ses poèmes et sa vie. L'atout de Charles Berling c'est le bleu de son regard. Le premier plan du film s'ouvre sur ce regard : la beauté du regard de Charles Berling devient la beauté de l'âme du poète. Quant aux deux jeunes acteurs, ils viennent d'horizons assez différents :
Ouassini Embarek a déjà de l'expérience , à l'âge de treize ans il a joué dans Bye-Bye de Karim Dridi, il a plusieurs films et téléfilms derrière lui. Pour Mehdi Dehbi on a eu beaucoup de mal à trouver un acteur qui ait en lui cette pureté, cet idéalisme d'un jeune poète en devenir que nous recherchions. Ce sont les frères Dardenne qui l'ont déniché, lors d'un casting en Belgique. Malgré sa jeunesse (il n'avait que 16 ans), Mehdi a su prendre en charge le personnage de Hamid décrit dans le script comme un étudiant de dix huit ans ou dix neuf ans. Je crois que les spectateurs ne sont pas insensibles à son charme : il a pu le constater lui même dès la projection du film à Venise où il a été très entouré par le jeune public.


 

 

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