Envoyer Imprimer Cultures - Article paru
le 20 juin 2009
Envoyer à un ami







code

Les LETTRES françaises

Rien que la terre

Cher Amour, de Bernard Giraudeau. Éditions Métailié, 267 pages, 17 euros.

Qui oserait dire aujourd’hui que partir c’est mourir un peu ? Sûrement pas Bernard Giraudeau, dont le dernier ouvrage, Cher Amour, sonne comme un vibrant hymne à la vie. Longtemps connu en tant qu’acteur et comédien de théâtre, Giraudeau révèle une fois de plus sa nature intrinsèque, le voyageur derrière l’homme de spectacle, le bourlingueur-né, l’amoureux de l’ailleurs. Sa fringale pour les grands espaces ne date pas d’hier : mécano sur le Jeanne d’Arc à dix-sept ans, il fera le tour du monde deux fois, puis ne cessera d’arpenter les reliefs du globe sa vie durant. Avec ce Cher Amour, Giraudeau se livre à un exercice narratif singulier puisqu’il s’adresse directement à une femme, cette mystérieuse « Madame T. ». Ses chapitres prennent alors la forme de longs courriers tendres, réceptacles de ses confidences et confessions du bout du monde. Chaque tournage à l’étranger devient un prétexte d’escapade discrète mais gourmande. De l’Amazonie au Cambodge en passant par le Chili et les Philippines, Giraudeau dévore la terre qu’il foule avec l’avidité de celui qui sait qu’une seule vie ne suffit pas à satisfaire une faim d’inconnu. En l’occurrence, ce n’est pas la jeunesse que forme le voyage, mais une maturité sereine et sage. Au fil des kilomètres, Giraudeau chronique l’état de santé du monde tout en prodiguant çà et là quelques piqûres de rappels historiques : Pizarro et la conquête du Nouveau Monde, les atrocités commises par les Khmers rouges, la dictature de Pinochet, etc. Il en profite pour glisser de fines anecdotes amoureuses qui ont toutes pour dénominateur commun l’éloignement, le manque, la quasi-perte de l’autre dans l’infini de la distance… une forme de complainte à l’adresse de ce « cher amour » resté au port, un amour sans nul doute chimérique, dont tout l’objet est de cristalliser, encapsuler l’émotion du récit.

La plume légère, directe, parfois crue, Giraudeau compose une odyssée sensible mêlée de réflexions sur le métier de comédien, dont il sait qu’il « meurt à chaque rideau ». De la mort il est effectivement question, comme pendant à un formidable désir de vie. C’est par la voix du cancer qu’elle s’exprime : les reins sont atteints et obligent l’écumeur des planches à interrompre les représentations de Richard III. La rémission, comme souvent, va changer l’homme, son point de vue sur lui et les autres, le monde et le temps. Comme tous les hommes, Giraudeau n’a finalement que le temps de vivre. C’est au fond si peu de chose. Sauf si l’on prend la peine d’aller faire le tour de sa maison, cette terre qu’on ne connaîtra jamais assez. Partir pour en prendre la mesure, c’est s’exposer à souffrir de ne jamais finir le voyage, regretter ce regard plein de charme qu’on croise trop vite car il faut continuer, se rendre à la raison qu’on n’est jamais que de passage.

Quarante ans après, Giraudeau retrouve le Jeanne d’Arc, cette fois auréolé du titre d’écrivain de marine et élevé au grade de capitaine de frégate. Direction Djibouti pour une croisière à travers le souvenir de jeunes années sans expérience. Fini la salle des machines et ses effluves nauséabonds de sueur mêlée aux émanations de mazout, bonjour le carré des officiers. Comme quoi, avec le temps, on prend du galon - pas forcément doré sur une épaulette - et de la bouteille, on a la gueule cassée, et sur les mains les stigmates du beau comme du laid. Les bordels philippins d’Angeles deviennent un mal nécessaire pour autant qu’on les réprouve. Question de point de vue. Là-dessus, Giraudeau ne prend pas parti et c’est tout à son honneur. Éprouver le monde n’est pas tenter de le régir, ne serait-ce qu’en pensée, c’est le constater pour mieux l’appréhender. Telle est la grande leçon portée par Cher Amour, si leçon il y a. Rien de moins sûr, son auteur conserve cette élégance discrète qu’on lui connaît, cette humilité devant ce qui le dépasse. Et le monde nous dépasse tous.

Matthieu Lévy-Hardy

PUBLICITé -

LE FIL ROUGE



VidéosRetour sur une élection : Patrick Le Hyaric

INTERACTIF -

espace privé accueil LIENS Contacts Annonceurs AIDE Mentions légales Crédits RSS Plan du site