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  Bob Rae Deuxième article de Bob Rae

Dissensions régionales

Le Canada est une fédération. C'est un fait qu'il peut paraître excessivement lassant de rappeler tellement c'est l'évidence même. Mais comme c'est le cas de plusieurs lapalissades, elle est vraie. Le Canada ne peut être considéré comme étant un état unitaire, ou un pays qu'on peut gouverner à partir du centre.

Le premier séparatiste qu'a connu le Canada n'était pas Québecois mais Néo-Écossais. L'écrasante victoire électorale de Joseph Howe sur Charles Tupper en 1868 était un référendum axé sur une seule question, la confédération. Il passa la première année de son mandat à réclamer à Londres, auprès du Secrétaire britannique aux colonies, la permission de retirer la Nouvelle-Écosse de l'accord de 1867. Sa requête fut refusée en termes non équivoques :

"D'importants engagements politiques et commerciaux ont déjà été pris sur la foi d'une mesure qui a fait l'objet de longues discussions et qui fut solennellement adoptée ... le gouvernement de sa majesté croit qu'il serait injustifié de recommander l'annulation d'une grande loi, dont les conséquences, d'une portée extrême, se font déjà sentir."

Howe s'est incliné, ce qui n'a pas mis fin à la frustration des Néo-Écossais qui jugeaient que, suite à la Politique nationale, l'avenir économique des Provinces atlantiques devenait de plus en plus lié à celui du centre du Canada. Un accord différent aurait-il modifié la nature du développement économique des Maritimes ? C'est l'objet de profondes dissensions. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'un sentiment régional d'animosité envers le centre existait au Canada dès le début. C'est ce qui a renforcé au Canada la tradition fédérale, trop souvent accompagnée d'un esprit de clocher qui n'a pas toujours été sain.

Pendant qu'en Nouvelle-Écosse Howe menait une bataille perdue d'avance, à l'ouest Louis Riel tentait d'établir une société distincte sur les rives de la Rivière Rouge. Une fois de plus, le gouvernement Macdonald qui, plus que quiconque dans toute l'histoire canadienne jusqu'à Pierre Trudeau, penchait profondément vers la centralisation, ne recula devant rien pour maintenir le pouvoir fédéral et la discipline. Le conflit a éventuellement abouti à la Rébellion de la Rivière Rouge et à la mort de Riel aux mains d'un bourreau. La décision de Macdonald de faire pendre Riel a eu plus d'une conséquence désastreuse. Le Québec s'est révolté. Laurier a vu son pouvoir grandir. Accusés depuis longtemps d'intolérance et même davantage, les Tories devenaient aussi, dans l'opinion publique, coupables d'utiliser le pouvoir central pour imposer la conformité régionale et la suprémacie d'Ottawa.

Au cours des années suivantes, les familles d'immigrants en route vers l'Ouest à partir du centre du Canada ou de l'Europe, ont rapidement créé des provinces dont la culture était différente de celle de l'"Est". Elle était, comme le soulignait Barry Cooper la semaine dernière, plus égalitariste, moins respectueuse et ultimement politiquement plus radicale que tout ce qu'on pouvait trouver au centre. La victoire des conservateurs sur Sir Wilfrid Laurier en 1911 maintenait l'imposition de tarifs élevés sur les biens manufacturiers importés, renforçant l'impression des fermiers de l'Ouest qu'ils subventionnaient les industriels de l'Ontario et du Québec tout en se voyant refuser le libre accès aux lucratifs marchés américains. Le radicalisme politique de l'Ouest découle de ce sentiment d'injustice. C'est lui qui est responsable de la grève générale de Winnipeg en 1919 et de la victoire de dizaines de députés progressistes dans les Prairies lors des élections de 1921.

Les conflits régionaux qui se multipliaient contre le fédéral étaient en partie motivés par des questions d'argent et de ressources, mais aussi de valeurs et de principes. Les Albertains Aberhart et Manning se sont élevés contre Ottawa au sujet de la règlementation de la presse, Tommy Douglas, de la Saskatchewan, au sujet de l'industrie de l'assurance et les soins de santé. Leur volonté de tenir tête aux gros bourgeois et aux bureaucrates de l'Est explique largement leur popularité sur le plan politique.

Les trente dernières années ont vu s'intensifier ces tensions historiques. Selon la légende, le sabotage de l'élection triomphante de M. Diefenbaker en 1958 était le fruit d'une conspiration de l'établissement de l'Est. Comme ce sera le cas vingt ans plus tard pour la brève victoire de Joe Clark, un regard plus objectif révèlerait qu'il s'agit davantage de suicide que d'assassinat. Mais la légende s'en est emparée.

Au cours des années 60, la préoccupation majeure du gouvernement Pearson était le partenariat entre Anglais et Français : elle fut traitée sans ménagement dans l'Ouest. Dans une lettre cinglante envoyée à M. Pearson à l'occasion de la création de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le premier ministre de l'Alberta, Ernest Manning, indiquait clairement que la Commission ne reflétait pas sa vision du pays.

Mais aucun gouvernement n'a réussi à galvaniser l'opinion des gens de l'Ouest autant que celui de M. Trudeau. Non seulement était-il perçu comme fasciné par l'agenda politique québécois, mais ses vues sur la gestion des ressources, le coût de l'énergie et les changements constitutionnels assuraient des victoires de l'Opposition dans tout l'Ouest, aussi sûrement que la décision de Macdonald de faire pendre Riel (et la façon dont Borden a traité la question de la conscription pendant la Première Guerre mondiale), a porté les Libéraux au pouvoir au Québec pendant des générations.

Ce qu'il y a de plus ironique, c'est qu'avec le libre échange et l'érosion du pouvoir fiscal du fédéral, l'animosité régionale envers le centre a gagné l'Ontario. Dean Acheson a dit un jour qu'après avoir perdu un empire, la Grande Bretagne se cherchait une raison d'être. On peut dire la même chose de l'Ontario. Avec l'abandon du Programme national de l'énergie, la signature du traité de libre échange, l'ALÉNA et la discrimination envers l'Ontario dans le domaine de transferts fiscaux, Ottawa a créé une dynamique implacable : ceux qu'on traite en région réagissent en région.

Pourtant le centre a besoin de maintenir la capacité d'agir au nom de tout le pays. La persistance du ressentiment régional d'un bout à l'autre du pays est le trait le moins séduisant de notre identité nationale. Il est impossible de l'ignorer : le défi consiste à la mettre en perspective. Le grand radicaliste canadien William Lyon Mackenzie disait : "Ainsi en est-il de la politique. Cet élément de notre responsabilité qui nous enseigne à rechercher le bien du pays entier et ne pas s'estimer satisfait même si notre demeure est prospère, tant et aussi longtemps que nos voisins souffrent et sont menaçés. Le politicien honnête est celui qui met tous ses efforts à promouvoir le bien public et dont la charité l'inclut mais ne s'arrête pas là. L'homme qui prétend ne pas être un politicien ne sait pas ce qu'il dit à moins d'être une créature égoiste et méprisable, indigne de la communauté ou du pays auquel il appartient."

De Joseph Howe à Preston Manning, le mécontentement des partis "régionaux" quand à l'injustice du principe majoritaire a fait versé beaucoup d'encre. Ayant dénoncé pendant une génération le "Canada central", M. Manning ne devrait pas s'étonner que l'Ontario n'ait pas encore adopté le parti réformiste. Le fédéralisme est une question d'équilibre. Si le centre ne tient pas, le pays ne peut survivre comme fédération. C'est pourtant ce qu'il se doit d'être.