près la directive Bolkestein, le textile révèle une nouvelle ligne de fracture européenne. Trois mois après la levée des quotas sur les importations, un incident survenu à Bruxelles, jeudi 24 mars, alimente la polémique sur les conséquences de cette mesure décidée il y a dix ans.
La France et l'Italie ont rejeté, jeudi, la proposition faite par le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, d'accorder aux pays victimes du tsunami, fin décembre, des tarifs douaniers préférentiels, en vue d'aider leurs entreprises textiles à trouver des débouchés commerciaux en Europe.
La proposition, formulée le 10 février et soutenue par le Royaume Uni, l'Irlande, l'Allemagne, le Danemark, la Suède, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas, a buté sur les intérêts particuliers des industriels français et italiens.
La Commission ne cache pas son irritation à l'égard de la France. Le sujet devrait de nouveau être débattu le 6 avril.
Pour aider à la reconstruction, après le désastre provoqué par la vague géante du 26 décembre 2004 en Asie, la Commission européenne avait proposé d'avancer au 1er avril l'entrée en vigueur du nouveau régime commercial préférentiel élaboré pour soutenir les pays en développement.
Une anticipation de trois mois destinée à "privilégier les pays en développement les plus démunis, comme les Maldives, le Sri Lanka, la Thaïlande et l'Indonésie", explique un document de l'Union. Ce régime inclurait aussi l'Inde, gros producteur de textile, et dont le Sud porte encore les stigmates de la catastrophe.
Les vêtements fabriqués au Sri Lanka pourraient entrer sans taxes, celles sur le textile indien auraient été abaissées à 9,5 % (au lieu de 12 %) et celles sur les chaussures indonésiennes ou thaïlandaises diminuées de quatre points. L'effort commercial européen était évalué à 3 milliards d'euros mais les ambassadeurs français et italiens n'en ont pas voulu.
Le 16 février, l'industrie française a dénoncé cette initiative. "Il est inacceptable qu'au moment de la fin des quotas, de la montée en puissance des industries chinoises et indiennes, la Commission leur prête main forte", dit Claude Tétard, le président de l'Union française des industries de l'habillement (UFIH). "On veut nous faire croire, au nom d'une légitime solidarité avec des peuples d'Asie traumatisés par le tsunami, que cette solidarité doit s'exercer contre des emplois textiles en France et en Europe. C'est inacceptable", a commenté Guillaume Sarkozy, président de l'Union des industries textiles (UIT).
Pourtant, il n'était pas ici question d'accorder une aide à la Chine qui fabrique déjà plus du quart du textile mondial."On a peur de la Chine et on frappe l'Inde. En se trompant de cible, en déplaçant la menace de cette façon, on pénalise tous les pays les moins avancés, explique la porte-parole de M. Mandelson. C'est un camouflet pour les pays victimes du tsunami. Nous espérons que les Etats membres en sont conscients."
Depuis dix ans, l'industrie textile européenne traverse une crise dont elle ne voit pas l'issue. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 4 millions d'emplois ont disparu dans les pays riches. Mais au Sud, les Etats comme le Bangladesh et le Sri Lanka, qui pensaient profiter de la fin des quotas européens sont en fait les grands perdants face aux champions chinois et indien.
La pression sur les prix, exercée par les donneurs d'ordre occidentaux, a accéléré la dégradation des conditions de travail des ouvriers de ces usines du bout du monde."Bloquer l'assistance à l'Inde pour protéger son industrie alors que 200 millions d'Indiens vivent dans une extrême pauvreté, c'est vraiment malheureux", affirme Louis Belanger le porte-parole de l'organisation non gouvernementale (ONG) Oxfam International.
Aucun chiffre fiable n'atteste, après trois mois, des conséquences en Europe de la fin des quotas, juge-t-on à la Commission. Les chiffres cités par l'Euratex, l'association européenne des industries textiles ils font état de 46,5 % d'augmentation des exportations chinoises vers l'Europe , révèlent des tendances sur... un an. Les conséquences semblent, pour l'instant plus évidentes dans les pays pauvres : 14 entreprises ont fermé au Guatemala (3 426 emplois) et 8 000 licenciements ont été signalés à Madagascar.
"La question s'est politisée dans le contexte de la poussée du non pour le référendum en France", affirme un expert. C'est sur ordre de l'Elysée en début de semaine, que les diplomates français ont refusé tout compromis. La France mène le bal d'un camp protectionniste d'une dizaine de pays dont font partie l'Italie, le Portugal, l'Espagne, la Grèce, et la Pologne.
M. Mandelson, qui a fait de ce dossier un cheval de bataille personnel, n'envisage pas de céder. Après avoir expliqué, lors d'un voyage en Chine à la fin février, qu'il n'était pas question de renouer avec le système des quotas, il a répété mercredi à Tunis que "si les exportations chinoises atteignent des niveaux inacceptables ou si des pratiques déloyales sont prouvées, nous avons la compétence et le pouvoir d'agir (...) mais notre action doit reposer sur des données factuelles".