iarrhée, dysenterie, choléra, typhoïde, poliomyélite, bilharziose, onchocercose, la cécité des rivières, sont quelques-unes des maladies presque oubliées des pays riches mais qui continuent de décimer nombre de pays pauvres ou en voie de développement. Une cause commune : l'eau, ou plus exactement la mauvaise qualité de l'eau quotidienne. Entre deux et huit millions d'humains en mourraient chaque année, un chiffre qui place ces maladies liées à l'eau au même rang que le sida, voire au-dessus, dans l'échelle des fléaux qui affligent l'humanité.
C'est dire que la Journée de l'eau, organisée par les Nations unies le 22 mars, qui ouvre la Décennie internationale de l'eau (2005-2015), ne peut guère prendre l'allure d'une célébration : plus d'un milliard d'habitants de la planète manquent d'un accès simple à une eau vraiment potable. Par ailleurs, l'augmentation de la population réduit continûment la quantité d'eau disponible. Ainsi, les quantités d'eau douce sont passées de 12 900 m3 par habitant en 1970 à 6 800 m3 aujourd'hui, et elles seront de l'ordre de 5 000 m3 en 2025. On estime aussi que le nombre de pays en situation de pénurie aura doublé d'ici à 2050. Les pays riches ne sont pas complètement épargnés. Eux aussi sont de plus en plus souvent confrontés à des contraintes hydriques. A l'image de la France, qui se prépare à une nouvelle sécheresse estivale, ou du sud de l'Espagne, de l'Italie ou des Etats-Unis, qui sont en état de pénurie structurelle.
Si la situation ne s'améliore pas, elle fait partie désormais des préoccupations des responsables politiques. Ainsi, en 2002, le sommet de Johannesburg sur le développement durable s'est donné pour objectif de réduire de moitié en 2015 le nombre de personnes n'ayant accès ni à l'eau potable ni à des services d'assainissement. En 2003, le Forum mondial de l'eau à Kyoto a avalisé le rapport Camdessus du nom de l'ancien directeur du FMI (Fonds monétaire international) qui l'a piloté , portant sur la question du financement des infrastructures nécessaires pour atteindre ce but.
UN DÉBAT TOUJOURS VIF
"Les choses commencent à changer, estime Michel Camdessus. La Banque mondiale a accepté plusieurs de nos recommandations, comme par exemple l'autorisation de prêts à des collectivités locales, qui sont souvent les agents les plus efficaces sur le terrain. Et nous lançons cette semaine à Paris avec la Banque africaine de développement un processus permettant de trouver 14 milliards de dollars entre 2005 et 2015 pour des financements de l'eau en Afrique."
Si la situation de l'eau est mauvaise partout, nombre de pays émergents devraient réussir à faire face au problème. Par exemple, la Chine, où 70 % de la population ne dispose pas d'une eau saine et où 400 des 600 plus grandes villes sont confrontées à des pénuries, et qui a adopté des lois sur l'eau. Dans ce pays, les investissements dans les équipements de traitement d'eau devraient passer de 19 milliards de dollars en 2004 à 23 milliards en 2005 et à 33 milliards en 2010, selon le cabinet allemand Helmut Kaiser.
Les politiques à adopter suscitent cependant un débat toujours vif. Un Forum alternatif de l'eau, qui s'est tenu à Genève du 17 au 20 mars, a ainsi réaffirmé la volonté des associations du mouvement altermondialiste d'"exclure l'eau de la sphère du commerce et des règles du marché" et leur exigence d'"un statut pour l'eau au plan mondial".
DES PARTENARIATS AVEC LE PRIVÉ
Le mouvement alternatif s'appuie notamment sur la résistance de plusieurs pays latino-américains au développement de la gestion privée de l'eau dans plusieurs grandes villes. En Bolivie, en Argentine, au Chili se sont levés des mouvements conduisant au rejet de firmes telles que Suez ou Bechtel. Les altermondialistes s'inquiètent aussi du développement des multinationales de l'eau en bouteille un marché qui prospère sur la mauvaise qualité de l'eau publique , qui chercheraient à s'approprier des nappes phréatiques. Aussi le Forum de Genève a adopté une motion soutenant
"la mise en place d'un tribunal pour juger les comportements condamnables des entreprises privées visant à s'approprier l'eau" et dénonçant les firmes Suez-Ondéo, Véolia, Nestlé, Abengoa et Bechtel.
Le cas de l'Afrique suscite cependant des positions plus nuancées. "Dire qu'on est contre la privatisation ne résout pas les problèmes de l'eau en Afrique, rappelle Jean-Luc Touly, de l'Association pour le contrat mondial de l'eau. Nous acceptons sur cette question plusieurs des propositions du rapport Camdessus." Les alternatifs reconnaissent donc que les Etats africains ne sont pas en mesure de remédier seuls à la crise de l'eau. D'où la nécessité de recourir à des aides extérieures, et sans doute à des partenariats avec le privé.
Mais tous reconnaissent qu'il faut rechercher des solutions originales. "Sur le terrain, dit Pierre-Frédéric Ténière-Buchot, du Conseil mondial de l'eau, les ONG font un meilleur boulot que les Etats. De même, les collectivités locales du Nord peuvent apporter une aide importante, par le biais de contributions volontaires des consommateurs du Nord sur leur facture pour aider à des projets dans le Sud." Le Forum de Genève a par ailleurs souligné l'importance des solutions techniques alternatives : récupération de l'eau pluviale ; réduction des pertes d'eau dans l'irrigation et dans les réseaux de distribution. Il appelle aussi à "la promotion des savoirs et des pratiques traditionnelles locales de gouvernement de l'eau". Si l'eau est en crise, elle n'est plus oubliée.