n sondage est une photo de groupe de l'opinion dans le temps du débat, qui n'est pas celui de la décision finale, dans l'isoloir du "Photomaton" référendaire. Au moment où telle photo de famille française semble montrer une prédominance des tenants du non au traité constitutionnel européen, retournons-nous sur pareil événement en feuilletant l'album photos communautaire.
Le plus récent est celui du vote irlandais sur le traité de Nice et l'élargissement, en juin 2001. Seul peuple consulté à l'époque par voie référendaire, les Irlandais ont dit clairement non. Leur vote a-t-il créé un électrochoc en Europe et la remise à plat dudit traité ? Pas le moins du monde. On leur a expliqué leur grossière erreur et ils ont été priés de revoter, sans se tromper cette fois. Ils ont donc ratifié le traité à l'occasion d'un nouveau référendum, en octobre 2002. S'en est-on ému en France ? Sauf leur respect, on répondra sans doute qu'il ne s'agissait que d'Irlandais.
Qui oserait en effet nous demander de retenir et de méditer leur leçon ? Peut-on imaginer pareille impertinence envers la France, figure mythique de l'Europe originelle, pivot central de la construction européenne, pays des droits de l'homme, mère de toutes les révolutions !
Non, que la France ouvre les yeux, et c'est toute l'Europe qui s'éveille ! En est-on si sûr ? Voulons-nous demain recevoir comme une gifle la démonstration de ce qu'est la réalité et de ce qui ressortit, au XXIe siècle, à notre imaginaire national ?
Claironner haut et fort que le non français ébranlera la conscience européenne, c'est faire preuve une fois de trop peut-être de l'arrogance et de la superbe qui agacent de plus en plus nombre de citoyens dans l'Union. Croire que la France imposera, en brandissant le drapeau d'un non majoritaire, une renégociation du traité autour de principes et de concepts tricolores au demeurant hétéroclites, c'est se tromper lourdement d'époque, de lieu, de scénario, et bien méconnaître la réalité du fonctionnement de l'Europe aujourd'hui.
Ceux qui travaillent au quotidien à la mise en oeuvre de politiques communautaires dans l'espace élargi savent bien d'expérience ce qu'il en est, en 2005, du choc que crée la France quand elle néglige ou boude tel ou tel projet commun. Il est souvent conduit sans elle, tout simplement. Qu'elle arrête sa pendule, et ce n'est plus à elle qu'on demande l'heure, voilà tout.
Cessons donc, drapés dans notre histoire, de prétendre ou de croire que la France est un organe vital de l'Europe, et revendiquons l'Europe pour ce qu'elle est devenue : un organe vital de la France, en indivis avec les autres Etats membres, dont les citoyens ont aussi leur mot à dire, et le disent de moins en moins dans notre langue. C'est avec eux qu'il faut aujourd'hui dialoguer. Pas seulement entre nous, comme si l'Europe n'était après tout qu'un hexagone à vingt-cinq côtés.
Christian Roger est directeur adjoint de l'agence nationale Socrate-Leonardo da Vinci.