'hippodrome de Longchamp, qui a rouvert ses portes jeudi 24 mars pour la saison parisienne de courses de plat, accueillera pendant encore quelques jours des chevaux courant sous les couleurs de l'écurie Lagardère. Le 16 mars, un communiqué du secrétariat de l'Agha Khan en France indiquait sobrement :
"Les Haras de son altesse Agha Khan achètent l'élevage de la famille Lagardère." Mais la vente ne sera "bouclée" que fin mars et les chevaux ne courront sous leurs nouvelles couleurs qu'en avril.
Après plusieurs mois de négociations
(Le Monde du 7 février), le prince ismaélien, grand éleveur et propriétaire international, rachète les deux haras normands et les 188 chevaux de l'élevage fondé en 1967 par Jean-Luc Lagardère. Bien qu'aucun chiffre ne soit fourni, le prix tournerait autour de 40 millions d'euros, dont 8,2 millions pour les biens fonciers bâtis et non bâtis.
La casaque de l'industriel, mort en mars 2003, ne devrait cependant pas disparaître tout à fait des pistes. France Galop, l'autorité organisatrice des courses en France, précise que Bethy Lagardère a demandé à reprendre sous son nom les couleurs de son mari (toque rose casaque grise).
Dès le décès de Jean-Luc Lagardère, la question de l'avenir de l'élevage et de l'écurie de courses s'était posée, son fils Arnaud ne manifestant pas d'intérêt pour cette activité. Dans un milieu préoccupé, avant tout, par le maintien des activités hippiques sur le sol français, l'essentiel était que l'élevage ne soit pas dispersé.
La reprise par l'Agha Khan écarte ce risque : la totalité des emplois et l'unité des deux haras sont assurées pour au moins dix ans. Cette disposition, qui satisfait le monde des courses, répond aussi à la demande de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) de Basse-Normandie, dont le directeur, Hubert Séjourné, juge la transaction "très positive". La safer était partie prenante de l'opération, puisqu'il s'agissait d'un bien agricole.
De même, Louis Romanet, directeur général de France Galop, l'autorité organisatrice des courses de galop, affirme : "Nous respectons la décision d'Arnaud Lagardère et nous nous réjouissons de cette solution." Il salue "la rencontre de deux volontés, celle d'Arnaud Lagardère de préserver le capital génétique réuni par son père, et celle de l'Agha Khan, de relever le "challenge" qu'est la reprise de ce capital".
L'entourage d'Arnaud Lagardère souligne que cette vente assure la "pérennité" de l'élevage, et rappelle que le prince Karim Agha Khan représente "une autorité incontestable" dans le monde des courses. Le richissime chef spirituel des musulmans ismaéliens avait des "liens très étroits" avec Jean-Luc Lagardère. Le communiqué de l'Agha Khan précise que "l'ensemble des chevaux restera et courra en France".
Le directeur de France Galop voit dans le choix de l'Agha Khan "un signe de confiance et d'attachement" envers les courses et l'élevage français. Selon lui, ce rachat ne devrait pas avoir de conséquences négatives sur la santé économique des courses en France.
Néanmoins, un expert redoute que l'Agha Khan ne conserve pas toutes les juments de l'élevage Lagardère en France. Alors que M. Lagardère élevait et entraînait ses chevaux exclusivement en France, l'écurie Agha Khan entraîne ses chevaux près de Chantilly (Oise), mais les élève surtout en Irlande. Son communiqué précise que Linamix, l'étalon vedette de l'élevage Lagardère, restera en Normandie "jusqu'à la fin de la saison de monte 2005".
Avec 174 poulinières et une centaine de chevaux à l'entraînement, l'Agha Khan possède trois fois plus de montures que l'élevage qu'il rachète. En 2004, l'élevage Lagardère s'est classé deuxième pour les gains aux courses de galop sur le plat, avec 2 millions d'euros. Et, pour 2005, le prix record de saillie en France (50 000 euros) est détenu par Linamix.
La France est, avec la Grande-Bretagne et l'Irlande, l'un des trois seuls pays de l'Union où ce secteur se porte bien. Cette bonne santé est liée à celle du PMU (7,56 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2004, soit une progression de 7,6 % par rapport à 2003) et à l'établissement d'une "relation de confiance" avec l'Etat, précisément grâce à l'action de M. Lagardère, souligne M. Romanet. C'est l'Etat qui décide de la clé de répartition des enjeux entre lui-même, l'institution des courses et les parieurs gagnants.
En revanche, les éleveurs se plaignent d'une "concurrence déloyale" de l'Irlande, qui, en défiscalisant totalement l'activité des étalons, attire les meilleurs d'entre eux. Conséquence pour la France, selon un expert, une "fuite de la génétique de qualité".
C'est dans la crainte d'une autre "concurrence déloyale", sur les paris cette fois, que le monde des courses français fait partie, depuis des mois, du front anti-directive Bolkestein. Pour M. Romanet, la mise en oeuvre de ce projet de directive européenne se traduirait par l'ouverture du marché français des paris aux professionnels anglo-saxons, au détriment du PMU, et donc du système des courses français. "On ne peut pas laisser faire n'importe quoi ! Nous faisons vivre une filière économique", souligne M. Romanet. Dans un pays qui compte, à lui seul, plus d'hippodromes que l'Europe entière, les courses (trot et galop) génèrent 58 000 emplois directs et indirects et font vivre 120 000 personnes.