olando Villazon est un ténor à sang chaud. Ce fils de Mexico est capable de vous attendre sur une place venteuse de Vienne, par une après-midi teigneuse, tête et mains nues, dans le grand froid qui tient encore la capitale autrichienne en cette mi-mars. La veille au soir, il incarnait avec une grâce incroyable un fragile et magnifique Roméo dans le
Roméo et Juliette de Gounod, monté à la Wiener Staatsoper.
Front bouclé et oeil noir de taurillon, voix claironnante de jeune homme à longues enjambées, Rolando Villazon fend ce reste tenace d'hiver comme il traverse la scène : avec une présence superlative. On peinerait presque à le suivre jusqu'à l'appartement qu'il occupe chez Placido Domingo, à qui on l'a si souvent comparé depuis qu'il a raflé trois prix au concours Operalia, organisé par le grand ténor espagnol, en 1999 prix de la Zarzuela, prix du public et deuxième prix du concours.
"C'est en écoutant Placido Domingo dans un disque de cross over que j'ai eu l'idée que, moi aussi, je pourrais peut-être chanter. Je rêvais de le rencontrer, de devenir son ami, et maintenant..." Rolando Villazon ouvre des bras de derviche vers les murs couverts de livres, les étagères chargées de souvenirs de voyage. Le rire est gentiment carnassier, un rire d'enfant excité et heureux. "Depuis Covent Garden, l'année dernière, et mes débuts au Metropolitan de New York, la célébrité est une conséquence de ce que je fais, pas le but. J'aime la scène passionnément. Quand l'opéra est fini, le chanteur continue. En ce moment, il y a partout dans ma vie un petit peu de Roméo."
Rolando Villazon est arrivé parmi nous en décembre 1999. Ses débuts à l'Opéra de Lyon dans La Bohème, de Puccini, révèlent un Rodolfo aux aigus insolents, au timbre solaire et émouvant, où semble se réfugier parfois le souvenir furtif du sanglot.
A Paris, à l'Opéra Bastille, où en avril 2000 il remplace au pied levé Ramon Vargas souffrant, il triomphe en Alfredo de La Traviata, un rôle qu'il a déjà pas mal endossé sur les scènes internationales, de Covent Garden à Aix-en-Provence, en passant par Trieste, Munich, la Deutsche Oper puis la Staatsoper de Berlin, jusqu'au Metropolitan, qui voit mourir dans ses bras la belle Renée Fleming.
Mercredi 30 mars, Rolando Villazon donnera son premier récital parisien au Théâtre des Champs-Elysées. En véritable homme de scène, il s'inquiète du rituel passif d'un concert face au public, égrenant un florilège d'airs puisés et épuisés ? dans les opéras français et italiens. "Dans un récital, on doit être à la fois conteur et conté. J'ai peur de ne pas savoir quoi faire avec mon corps ! Je ne peux quand même pas me jeter comme ça dans la foule !"
Rolando Villazon se jette pourtant sur le canapé à côté de vous, dans un élan qui aussitôt le redresse et le campe à pleine voix pour une leçon de tango dans Carmen, "car jamais femme avant toi,/Aussi profondément n'avait troublé mon âme". Il aime aussi s'asseoir quelque part sur un port, avec du vin et une pizza, et regarder le monde qui invente des histoires.
Il raconte ce jour en un jardin public : il y avait un pigeon mort ; un enfant jouait, soudain arrêté par la découverte du cadavre, puis soulevant les ailes repliées avec un bâton dans un simulacre d'envol, avant d'être grondé par sa mère. Puis des adolescents arrivent en groupe et se lancent l'oiseau au visage avec des rires nerveux ; enfin, un clochard les chasse, enveloppe de compassion la plume froide dans un linceul de sac poubelle. Le plus beau est le retour de l'enfant, délivré de sa mère, son étonnement ravi devant le "tombeau vide", et son regard levé vers le ciel de la résurrection.
Rolando Villazon s'émeut : "J'aime vraiment la vie. Il faut vivre comme si c'était le premier jour, comme si l'on sortait de la mort et qu'on voulait tout embrasser. Il faut se jeter dans les choses sans savoir." C'est ainsi qu'il aurait pu devenir acteur, danseur, clown, professeur d'histoire ou prêtre, avant d'être désigné ténor professionnel.
L'appel d'un destin trop grand pour lui, Rolando Villazon en a longtemps souffert. Il aurait pu en crever, de cette enfance entre les livres et les nuits à la belle étoile, Don Quichotte harnaché de tubulures, chevauchant son vélo d'enfant, haridelle mystique.
Puis lecteur de Gandhi, en sari, tête rasée et lunettes cerclées, Diogène enfant cherchant l'artiste ignoré de lui-même. "Mon adolescence a été difficile. Je luttais contre tout ce qui m'entourait. Je dormais dehors, me prenais pour mes héros de roman. Pour moi, la vraie vie était dans les livres et je voulais en être une preuve vivante. Je me sentais tellement différent, parfois simiesque et ridicule. Je croyais que je ne pouvais pas être aimé !"
Rolando raconte sa vie avec une frayeur ravie. Tout ce bonheur rayonnant, cette voix bien à lui, sa voie enfin trouvée et conquise, Lucia, la femme de sa vie, qu'il aime depuis l'âge de 16 ans, ses deux enfants enfin, deux ans et huit mois.
"Quand nous sommes arrivés en Europe, ma femme et moi, nous n'avons pas pris d'appartement. J'avais encore peu d'engagements. On avait deux valises et on laissait derrière nous les livres, les partitions, les vêtements. Paris s'est peu à peu imposé quand on s'est rendu compte qu'on y revenait de plus en plus souvent."
Et tout cela jusqu'à quand ? "Parfois, je me sens comme Prométhée et j'ai peur de la chute. J'ai tellement de mal à croire tout ce qui est arrivé dans ma vie que j'ai peur d'une punition. Mais j'ai volé le feu et je le garde ! Il ne faut pas nier ce que nous sommes : en moi, il y a un saint et un assassin, que l'opéra me permet de vivre."
Biographie
1972
Naissance à Mexico.
2003
Révélation internationale aux Victoires de la musique classique.
2004
Disque d'airs d'opéras italiens (Verdi, Puccini, Donizetti) chez Virgin Classics.
2005
Disque d'airs d'opéras français (Gounod et Massenet) chez Virgin Classics.