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Livres:
  • Masculin – Féminin
    de Françoise Héritier
    Editions Odile Jacob

  • Backlash
    de Susan Faludi
    Editions « Des femmes »

  • Hommes – Femmes, quelles égalités ?
    d’Alain Bihr et Roland Pfefferkorn

  • Cerveau, sexe et pouvoir
    de Catherine Vidal, avec la collaboration de Dorothée Benoit-Browaeys
    préface de Maurice Godelier
    Belin, 2005


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Violences conjugales
Inégalités: les chiffres | Inégalités: le diktat culturel | Le monde à l’envers

Le diktat culturel




Bébé : fille ou garçon ?
Dans les années 1970, la psychologue Phyllis Katz mène l’expérience « Étude sur bébé X ». Dans un local où est installé un bébé de 3 mois habillé d’un pyjama jaune, elle place trois jouets: un petit ballon de football, une poupée féminine et un jouet neutre. On demande alors à une série d’adultes de venir, l’un après l’autre, s’occuper du bébé. A une moitié des adultes, on annonce que le bébé s’appelle Mary; pour les autres, le bébé se prénomme Johnny. La plupart des adultes qui croient que le bébé est une fille lui donnent la poupée. Ceux convaincus d’avoir affaire à une garçon lui tendent le ballon de football. L’étude déclenche débats et polémiques sur les jouets sexués et les stéréotypes sexuels. 10 ans plus tard, Phyllis Katz reprend l’expérience, et obtient… les mêmes résultats. Pas d’évolution notoire depuis : il suffit d’ouvrir un catalogue de jouets avant Pâques ou Noël pour voir que, 25 après, on en est toujours là.

De fait, dès leur naissance, voire désormais dès la grossesse depuis que l’on peut déterminer le sexe du fœtus, l’enfant est « modelé » culturellement pour devenir ce que nous estimons que doit être une fille ou un garçon. Des attitudes semblables chez un enfant se verront interprétées différemment selon son sexe. Qu’une petite fille s’intéresse aux bijoux de maman, aussitôt elle sera complimentée sur sa « coquetterie ». Mais qu’un petit garçon veuille porter un collier chatoyant, et les parents rangeront le coffre à bijoux hors de sa portée. Dans le cas de la fillette, ils relateront tous sourires l’évènement à famille et amis. Dans le cas du petit garçon, on n’en parlera plus. A contrario, la petite fille qui cogne un autre enfant à la crèche sera sévèrement réprimandée, on lui expliquera qu’une petite fille, ça ne frappe pas. S’il s’agit d’un garçon, il sera mollement mis à distance de l’autre enfant, et les parents se vanteront de ce petit bout d’homme qui roule déjà des biceps. Dans les deux cas, les enfants enregistrent quelle est l’attitude qui fait plaisir aux parents, et s’attachent à la reproduire.

Le sexisme est dans le pré
Dans les années 70 toujours, la grande anthropologue Yvonne Verdier examine comment dès l'âge de six ans l'expérience du « champ-les-vaches », c'est-à-dire de la surveillance du troupeau, confronte les enfants des deux sexes à l'apprentissage de rôles différents. Les filles, pendant les longues heures de garde qui ne monopolisent pas totalement leur attention, sont initiées au tricot, à la dentelle ou au raccommodage. Elles habituent ainsi leur corps à une immobilité qui renvoie aux stéréotypes sur une nature féminine perçue comme passive et modeste. Les garçons en revanche sont autorisés à capturer les merles, à attraper les vipères, à pêcher aux vairons sur la rivière ou à construire des cabanes. Cette culture du mouvement et de l'action les confronte ainsi plus rapidement au danger, sollicite leur force physique et les habitue à l'autonomie et à la débrouillardise. Si les enfants d’aujourd’hui ne gardent plus guère les troupeaux, les parents continuent d’encourager davantage l'autonomie et l'exploration de l'environnement chez les garçons, tandis qu'ils valorisent plus les comportements d'obéissance, de passivité, de dépendance et de conformité chez les filles. D'une manière générale surtout, les pratiques éducatives parentales sont plus rigides envers les filles.

L’école des femmes
L’école poursuit la construction sexuée des enfants. De fait, garçons et filles sont traités comme deux groupes différents à l'école. Un enfant peut y être classé selon son sexe plus de vingt fois par jour, jour après jour : l'un des messages les plus fréquents qu'il reçoit est qu'il est avant tout un garçon ou une fille. On crée ainsi dès le plus jeune âge un sentiment d’appartenance de classe, la classe des hommes, la classe des femmes. Deux classes non seulement différentes, mais hiérarchiquement inégales. Les attitudes et attentes des enseignants sont en effet différentes en fonction du sexe des enfants. On observe par exemple que les enseignants connaissent mieux les prénoms des garçons que des filles, celles-ci étant davantage perçues comme un groupe indifférencié, les garçons davantage comme des individualités. Mais les sociologues européens constatent surtout que les enseignants sollicitent deux fois plus les garçons que les filles, et lorsqu’ils interrogent les meilleurs de la classe, la répartition de ces sollicitations est la suivante : la fille est interrogée le plus souvent pour rappeler les savoirs de la leçon précédente. Le garçon est sollicité au moment du cours où il y a production de savoir. La fille rappelle, le garçon est intégré aux opérations cognitives. Le même message est donc constamment envoyé aux enfants : les filles sont « studieuses » et les garçons « doués ». En clair : pour que les filles égalent les garçons, chez qui la connaissance et l’intelligence seraient innées, il leur faut « bûcher », « bachoter », bref, travailler d’arrache-pied.
Autre stéréotype : comme le note Catherine Marry, sociologue et directrice de recherches au CNRS, « La croyance des maîtres dans la supériorité des garçons en mathématiques et celle des filles en littérature est décelée, dès l'école primaire, alors même que les différences de performance sont inexistantes. Ces attentes fonctionneraient comme « des prophéties auto-réalisatrices », alimentant la moindre confiance des filles et la surévaluation des garçons en mathématiques ».

Tout concourt donc à valoriser le garçon, à lui donner de l'importance, à lui instiller confiance en son savoir. Résultat, même avec des notes supérieures, les filles ne vont pas se sentir à la hauteur pour des filières que, par ailleurs, on leur désigne comme typiquement masculines (sciences dures).

Ça, c’est un boulot de mec
Ainsi, bien que les filles affichent un taux de réussite nettement supérieur à celui des garçons jusqu’à la maîtrise universitaire, on voit les filles s’orienter vers des filières du tertiaires moins bien rémunérées et moins valorisées, et délaisser les études d’ingénieur ou les grandes écoles en dépit de notes supérieures y compris en mathématique et physique. (En France, au train où la féminisation progresse, on n’attendra pas la parité filles –garçons à Polytechnique avant 2100 !)

Grâce aux constructions culturelles mises à l’œuvre depuis leur naissance, les filles occupent donc majoritairement des emplois de service peu qualifiés et précaires, pour lesquels elles sont souvent surqualifiées. Plus de la moitié des emplois féminins se concentre sur seulement 10 familles professionnelles sur les 84 que distingue en France le ministère de l’Emploi. La pression culturelle pousse en effet les filles à s’orienter vers les professions associées dans l’imaginaire collectif aux « valeurs féminines » (relations humaines, représentation) et à responsabilité limitée, là où les garçons occupent le plus souvent des professions incarnant les prétendues « valeurs masculines » (force, technicité) ainsi que les postes d’encadrement et de décision.
Quant à celles qui « tentent leur chance » dans les carrières « typiquement » masculines, elles vont devoir adopter ce que la sociologie appelle « la stratégie d’évitement ». En effet, constatent Nicole Mosconi et Rosine Dahl-Lanotte, chercheuses en sciences de l’Education, « quand on est une fille dans une classe de garçons, si l'on ne veut pas voir sa place dans la classe remise en question, il ne faut pas se plaindre : supporter l'attitude des garçons est le prix à payer pour se faire accepter ». Pour rendre sa situation vivable, une élève doit ainsi, soit faire siens les stéréotypes masculins « où la force (masculine), opposée à la précision (féminine), organise la division du travail », soit se plier à la division des genres : aux garçons l'extérieur, la mobilité, aux filles l'intérieur, l’immobilité.
Par ailleurs, ces filles font aussi souvent l'objet de plaisanteries sexistes, qu'elles ont généralement tendance à minimiser, condition sine qua non pour être intégrées dans la classe.
Et Nicole Mosconi et Rosine Dahl-Lanotte de conclure : « On ne peut se faire reconnaître qu'en acceptant d'abord de ne pas remettre en cause la domination masculine ». En effet, « Si les garçons se vivent en position dominée dans la hiérarchie scolaire, lorsque des filles vont venir « envahir » leur territoire, on peut s'attendre à ce qu'ils défendent encore plus âprement leur situation de dominants dans la hiérarchie des sexes. [...] Les garçons tendent à rappeler que ces sections sont « chasse gardée » et mettent en place des stratégies de défense ».

Le fond religieux
Enfin, des mythes tenaces, largement repris et véhiculés par la culture religieuse, continuent d’organiser culturellement les différences hommes-femmes. Il suffit de proposer un classement bipolaire à la majorité d’entre-nous pour constater que nous allons quasiment automatiquement perpétuer le schéma suivant :

Homme Femme
soleillune
chaudfroid
sechumide
dehorsdedans
fortdouce
clairsombre
devantderrière
francmaligne

Etc... (à noter que d’emblée, aussi, l’homme est dans la première colonne et nommé en premier)
C’est ainsi qu’au moment de créer la célèbre Schtroumpfette le sorcier Gargamel réunis les ingrédients suivants :

  • un brin de coquetterie
  • une solide couche de parti pris
  • trois larmes de crocodile
  • une cervelle de linotte
  • de la poudre de langue de vipère
  • un carat de rouerie
  • une poignée de colère
  • un doigt de tissu de mensonge, cousu de fil blanc bien sûr...
  • un boisseau de gourmandise
  • un quarteron de mauvaise foi
  • un dé d'inconscience
  • un trait d'orgueil
  • une pinte d'envie
  • un zeste de sensiblerie
  • une part de sottise et une part de ruse en proportions égales
  • beaucoup d'esprit volatile
  • beaucoup d'obstination
  • une chandelle brûlée par les deux bouts

Nous avons probablement tous lu cette bande dessinée dans notre enfance ou l’avons lue à nos enfants. Mais combien d’entre nous auront tiqué sur cette recette, mise en évidence par la chercheuse québécoise Pierrette Bouchard ?
Formatés, imprégnés de clichés sexistes dès l’enfance, nous allons donc réagir en conséquence. Estimer que le témoignage d’une femme est plus sujet à des déformations émotives, par exemple. Sans surprise donc, si une mère accuse un homme de violence, viol ou abus sur elle-même ou son enfant, et que l’homme nie, les chances de voir la justice douter de la parole de la femme plutôt que de celle de l’homme seront bien plus grandes. De même, une mère sera qualifiée d’hystérique fusionnelle si elle cherche à protéger l’enfant, là où un père affichant la même démarche se verra reconnu des qualités de clairvoyance et courage. En matière d’accusations mensongères, les statistiques ont beau indiquer que les pères mentent délibérément 16 fois plus que les mères dans les litiges de garde d’enfant, la construction culturelle dans laquelle nous baignons attribuera plus de crédit à la parole de l’homme qu’à celle de la femme.

Reste qu’évoquer ces inégalités culturelles persistantes (et ce ne sont là que quelques exemples) est quasiment toujours sanctionné par leur déni, voir par une interdiction implicite de les proférer : celui qui les énumère « exagère », est « extrémiste », « va trop loin ». Comme le notait le chercheur québécois Martin Dufresne « Par une habile inversion, on a réussi à faire croire que rappeler la persistance du sexisme, c’était en exercer un pire encore, c’était créer la séparation, c’était « haïr les hommes », bref, un terrible tabou, alors que la misogynie, elle, nourrit sans problème des industries multimilliardaires – prostitution, pornographie - et ce, dès l’école. »




Mise à jour: 22/03/05 | Retour en haut de page |