Envoyer Imprimer Réagir Cultures - Article paru
le 4 décembre 2008
Envoyer à un ami







code

modération à priori

Ce forum est modéré à priori : votre contribution n'apparaîtra qu'après avoir été validée par un administrateur du site.

Un message, un commentaire ?

(Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.)

Qui êtes-vous ? (optionnel)

La chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun

Ecritures de soi

Point de côté, de Josyane Savigneau.

Éditions Stock, 256 pages, 18 euros.

Qu’ai-je donc fait, de Jean d’Ormesson.

Éditions Robert Laffont, 378 pages, 21 euros.

Dans la nébuleuse des « écritures de soi », les livres de Josyane Savigneau et Jean d’Ormesson se situent du côté du témoignage et de la réflexion. La journaliste et l’écrivain académicien ont pareillement choisi de nous parler d’eux-mêmes, mais dans des récits de tonalités très contrastées. La première, pour évoquer un épisode humiliant de sa carrière, avant d’élargir son propos à

un champ plus vaste. Le second pour reprendre et compléter le large tour d’horizon de son univers entrepris dans

de précédents livres. D’un côté un texte à vif, engendré par une blessure de l’ego. De l’autre des pages plus souriantes, débordant d’une ironie pétillante.

Un matin de janvier 2005, Josyane Savigneau, alors chef du service Livres, est convoquée par le directeur du Monde, qui lui fait savoir qu’il la démet de sa fonction et lui retire également son titre de rédactrice en chef. Une gifle après vingt-huit ans d’activité. La jeune agrégative d’origine modeste, née du « mauvais côté » du pont sur la Vienne, à Châtellerault, s’était pourtant crue adoubée quand elle avait intégré cette rédaction dont elle s’était fait une image mythifiée. Écrire dans ces colonnes avait alors constitué pour elle un évident signe de distinction. Sur ce point,

elle semble n’avoir pas varié. Mais le choc de son éviction

la conduit aujourd’hui à porter un regard rétrospectif sur ses années de formation et à s’interroger sur le cheminement qui la conduisit au journalisme. Une réflexion se déploie, qui

ne serait pas sans rappeler celle d’Annie Ernaux évoquant sa sortie des classes populaires et son entrée dans les couches intellectuelles, s’il n’y manquait la notion centrale de « trahison », cette conscience

du déclassement, au sens littéral du terme. Mais est-il bien certain que Josyane Savigneau n’en ait pas éprouvé

les effets ? Cette passionnée de littérature, qui tôt choisit

de soutenir la nouvelle génération romancière, s’est en effet heurtée à des préjugés sociaux et sexistes plus ou moins avoués. Sa mise à l’écart, par-delà toute autre considération, en constitue la plus récente manifestation.

Du côté de Jean d’Ormesson, tout paraît devoir toujours sourire. Tant d’urbanité et de grâce font que, parfois,

on serait presque tenté de le prendre à la légère. Oubliant du même coup le coup d’oeil acéré et la force des convictions de l’ancien normalien. Ainsi qu’à l’accoutumée, le voici donc, mine de rien, nous entretenant des grandes questions qui lui tiennent à coeur. La république, l’amour, les communistes, le ski, Dieu, et par-dessus tout ici sa famille. Entré maintenant dans l’âge, il prend un singulier plaisir

à cultiver l’art du paradoxe. Non pas dans un exercice

de mépris de son temps, comme il arrive trop souvent en

la circonstance, mais au contraire avec une gourmandise et une curiosité inentamées. Jean d’Ormesson préfère l’admiration à la détestation, le partage des bonheurs à l’aigreur. On se rappelle qu’il fit paraître, en 1997 et 1998, les deux volumes d’Une autre histoire de la littérature française qui montraient en lui une manière de parfait « honnête homme » moderne. Quand il évoque aujourd’hui les deux branches de sa famille, la républicaine incarnée par son père et l’ultraréactionnaire représentée par son oncle Wladimir, il ne manque cependant pas d’en signaler le socle commun : l’appartenance au milieu aristocratique, avec

un même langage, des manières identiques et une religion commune. Mais là encore la nostalgie n’a pas de prise. S’il observe par exemple comment la langue aujourd’hui évolue, c’est à la façon de Malherbe, qui défendit l’usage vivant contre la norme. Il y a chez l’ancien directeur du Figaro

une curiosité, une ouverture et une jeunesse d’esprit que beaucoup, s’affichant plus à gauche, pourraient lui envier.

Et son écriture se trouve accordée à cette disposition : élégante et souple, avec la juste pointe acidulée qui convient.

On imagine sans peine Josyane Savigneau excédée, à juste titre, par la récente distribution des prix littéraires.

On suppose Jean d’Ormesson esquissant seulement un sourire malin. L’un et l’autre portés par un même amour de

la littérature. Seulement issus de deux histoires opposées.

PUBLICITé -

LE FIL ROUGE



INTERACTIF -

espace privé accueil LIENS Contacts Annonceurs AIDE Mentions légales Crédits RSS Plan du site