Envoyer Imprimer Cultures - Article paru
le 4 décembre 2008
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Lecture faite, persiste et signe

Premier roman . Être soi-même en étant tous les autres : l’originalité paradoxale d’un texte où le savoir valse avec l’émotion.

Récidivistes,

de Laurent Nunez.

Éditions Champ Vallon. 470 pages, 24 euros.

Si c’est ainsi qu’on nomme ceux qui persévèrent dans le crime, on doit s’interroger sur ceux qu’a commis Laurent Nunez. Lecteur endurci dans son vice, il ne se contente pas de lire « comme on meurt et comme on jouit », mais se fait écrivain. Un écrivain dont le projet, « écrire sur soi », sera le plus personnel et le plus impersonnel qui soit. Sa vie en sera l’aliment, et celui qui va l’écrire disparaîtra derrière les écrivains qu’il « imitera ». Imiter ? Le verbe ne convient pas pour ce qu’entend faire ce narrateur paradoxal. Parodie ? Pastiche ? Plagiat ? Emprunt ? Rien de tout cela, ou bien tout à la fois. Une manière de pousser l’admiration trop loin, d’aller au-delà de la crainte révérencielle devant les insurpassables modèles que rencontre celui qui a trop lu. Plutôt que de prendre acte de son impuissance à les égaler, il va, détournant les gestes du copiste, les « reprendre ». Pourquoi pas ? Pourquoi refuser de considérer les grands textes comme des matériaux ? Bien sûr, il n’est pas le premier. Sauf que là où la plupart des écrivains pratiquent l’art de l’allusion, de la référence ou du clin d’oeil, Laurent Nunez néglige la complicité cultivée et se coule dans le texte des autres, en un geste dont on ne sait s’il procède d’une modestie maladive ou d’un orgueil fou. Convoquant ainsi quatre écrivains qu’il a

aimés, il compose avec leur oeuvre, qu’il récupère sans rien laisser de la langue à la structure, un roman étrange, entre collage et ready-made.

Un roman qui assume, outre cette volonté d’enfouissement de l’auteur derrière ses aînés, une hétérogénéité radicale. Comment faire tenir ensemble quatre auteurs aussi dissemblables que Pascal Quignard, Marguerite Duras, Proust et Genet ? Peut-être en se servant de chacun d’eux pour présider à un moment différent de l’itinéraire du narrateur.

Récidivistes n’est pas une suite de morceaux de bravoure exécutés par un virtuose du pastiche. C’est un « vrai » roman, un roman de formation, dont l’enjeu est l’entrée dans la vie, et la littérature, d’un jeune homme. Amours, lectures, rencontres, études, écriture, le parcours est celui de bien des écrivains, et le roman ne cache pas sa dimension autobiographique. Mais sur ce fil conducteur, à chacune des étapes cruciales de l’itinéraire, un auteur attend le lecteur. Comme si à chaque stade correspondaient une idée, une tonalité, un territoire littéraire différent.

Au début, le narrateur tente de retrouver le souvenir sensible de « la plus belle époque de (sa) vie », celle où il vit avec une jeune fille, Fanny. Trois carnets de deux cents pages ont été écrits, censés éterniser ces deux années. Pourtant, plus rien dans sa mémoire propre ne garantit la véracité de ces pages qu’il ne peut pourtant mettre en doute. Commence alors, dans le style des « petits traités » de Pascal Quignard, une longue méditation sur l’oubli et la mémoire, ainsi que sur le temps, qui rend chacun étranger à ce qu’il a été. Cette première partie, « Kronos », essai érudit et brillant, qui mêle souvenirs et lectures, pages de carnets et anecdotes de la vie littéraire, conduit à poser le problème de l’autre en soi. « Nous ne sommes pas nous-mêmes », reconnaît le narrateur. Tous les mots que nous prononçons ont déjà été dits, écrits. Nous devons apprendre combien il peut être « parfois joyeux de devenir un autre ». Ce manuel d’« altérologie » va ainsi servir d’ouverture à ce roman de formation.

Il se poursuivra avec Marguerite Duras qui préside à un roman du désir qu’il a toujours fallu qu’on lui « dénonce » à lui-même, celui d’un jeune homme, élève policier décathlonien. La partie centrale emprunte la structure de la Recherche, jusque dans son découpage en chapitres, calqué sur celui des volumes de l’oeuvre de Proust.

On peut s’amuser de voir à quel point la narration d’un épisode bref, enclos dans un temps de vacances, peut se couler dans le long récit d’une vie. On comprend là que le mimétisme n’est pas où l’on croirait. On retrouve l’acuité de l’observation du théâtre social, les affres de la jalousie et des incertitudes du coeur. Mais plus que cela, plus encore que le travail d’écriture qui s’appuie, sans les imiter sur les phrases de Proust, qui lui-même jouait avec Saint-Simon ou les Goncourt, c’est la révélation du projet littéraire qui constitue le moment clé du livre, son pôle magnétique qui appelle l’auteur à tous les sacrifices.

L’émouvante et brève fin « genétienne » expose les termes de ce pacte avec le diable qu’a conclu l’auteur, et qu’il paye au prix du sang et du deuil. On a assez loué la virtuosité de Nunez pour y revenir, même pour rappeler que cette maîtrise est celle d’un premier roman. Mais on retient ses applaudissements. Lecture faite, on oublie la performance, sauf à reconnaître que la plus brillante est celle de faire de tout ce savoir un écrin pour la plus sincère des émotions.

Alain Nicolas

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