Livre des Métamorphoses : Jason et Médée

Les Métamorphoses livre Sept

D’Hermès à Ovide.

Lug Alc

Les Métamorphoses d’Ovide, récit mythologique et hermétique de la génèse ; alchimie de l’énergie vitale et de ses transmutations.
ARGUMENT. Jason fait la conquête de la Toison d’or. Médée rajeunit Éson. Pélias victime de la piété de ses filles et des artifices de Médée. Médée fait mourir Créüse, épouse de Jason, et égorge ses enfants. Épouse d’Égée, elle veut faire périr Thésée par le poison. Minos déclare la guerre aux Athéniens. Description de la peste d’Égine. Fourmis changées en hommes appelés Myrmidons. Chien et renard transformés en rochers. L’Aurore amante de Céphale. Jalousie et mort funeste de Procris.
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35. Livre des Métamorphoses : Jason et Médée
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Livre des Métamorphoses d’Ovide : Jason et Médée (VII, 1-58)

Déjà le navire qui portait les héros de la Grèce fendait les mers de Scythie ; déjà les enfants de Borée avaient délivré des cruelles Harpies le malheureux Phinée, qui, privé de la clarté des cieux, traînait une vieillesse importune dans une nuit éternelle ; et, vainqueurs sous Jason de grands et de nombreux travaux, ils voyaient enfin les eaux rapides du Phase, et touchaient aux rives de Colchos.

Ils demandaient au roi qu’on leur livrât la toison du bélier que Phryxus laissa dans ses états ; et tandis qu’Aiétès leur fait connaître les dangers qu’ils auront à surmonter pour l’obtenir, Médée, sa fille, voit Jason, et s’enflamme. Elle combat, elle résiste : mais, voyant enfin que la raison ne peut triompher de son amour : "Médée, s’écrie-t-elle, c’est en vain que tu te défends. Je ne sais quel dieu s’oppose à tes efforts. Le sentiment inconnu que j’éprouve est ou ce qu’on appelle amour, ou ce qui lui ressemble ; car enfin, pourquoi trouvé-je trop dure la loi que mon père impose à ces héros ! loi trop dure en effet. Et d’où vient que je crains pour les jours d’un étranger que je n’ai vu qu’une fois ? d’où naît ce grand effroi dont je suis troublée ? Malheureuse ! repousse, si tu le peux, étouffe cette flamme qui s’allume dans ton coeur. Ah ! si je le pouvais, je serais plus tranquille. Mais je ne sais à quelle force irrésistible j’obéis malgré moi. Le devoir me retient, et l’amour m’entraîne. Je vois le parti le plus sage, je l’approuve, et je suis le plus mauvais. Eh ! quoi, née du sang des rois, tu brûles pour un étranger ! tu veux suivre un époux dans un monde qui t’est inconnu ! Mais les états de ton père ne peuvent-ils t’offrir un objet digne de ton amour ? Que Jason vive, ou qu’il meure, que t’importe ! C’est aux dieux d’ordonner de son sort. Qu’il vive toutefois ! Sans aimer Jason, je puis former ce voeu. Car enfin, quel crime a-t-il commis ? Où donc est le barbare que ne pourraient émouvoir et sa jeunesse, et sa naissance, et sa vertu ? et n’eût-il pour lui que sa beauté, sa beauté suffirait pour intéresser et plaire ; et, je l’avouerai, je n’ai pu me défendre contre sa beauté !

Mais si je ne viens à son secours, il sera étouffé par les flammes que vomissent les taureaux ; ou il deviendra la proie du terrible dragon ; ou s’il le dompte, il succombera sous les traits homicides des guerriers que la terre enfantera. Et je le souffrirais ! Une tigresse m’aurait donc portée dans ses flancs ! j’aurais donc un coeur plus dur que le bronze et les rochers ! Il ne me resterait qu’à souiller mes yeux du spectacle de son trépas ; faudrait-il encore que j’excitasse contre lui ces taureaux indomptables, ces terribles enfants de la terre, et ce dragon que jamais n’atteignit le sommeil ? Que les dieux réservent à Jason un destin plus prospère ! Mais ce n’est pas aux dieux que je dois le demander : c’est de moi que Jason doit l’attendre. Eh ! quoi, trahirais-je ainsi celui qui m’a donné le jour ! et cet étranger, que je connais à peine, sauvé par mon secours, s’éloignerait sans moi de ces rivages ; il deviendrait l’époux d’une autre que moi ; et moi, Médée, je resterais ici abandonnée à ma douleur ! Ah ! s’il était capable de cette lâche perfidie ; s’il pouvait me préférer une autre femme, qu’il périsse, l’ingrat ! Mais non, cette noblesse, cette beauté, ces grâces qui brillent en lui, tout m’assure qu’il ne peut être un perfide, et qu’il n’oubliera point mes bienfaits. D’ailleurs avant de le servir j’exigerai qu’il me donne sa foi, et les dieux seront témoins et garants de ses serments. Bannis donc, Médée, une crainte frivole, et, sans différer davantage, hâte-toi : Jason tiendra tout de tes mains. Des noeuds solennels l’uniront à toi pour toujours. Le nom de sa libératrice sera désormais immortel ; et les mères des héros qui l’accompagnent le célébreront dans toute la Grèce.

"Ainsi donc je vais quitter et ma soeur, et mon frère, et mon père, et mes dieux, et la terre où je suis née ! Mais qu’est-ce que j’abandonne ? mon père est inhumain ; cette terre est barbare ; mon frère est encore au berceau ; ma soeur me favorise par ses voeux, et j’obéis au plus puissant des dieux, que je porte en mon sein. Je fais donc une perte légère, et je suis de grandes destinées. J’acquiers la gloire de sauver l’élite de la Grèce. Je vais voir des climats plus heureux, des villes dont la renommée est venue jusqu’en ces lieux, des moeurs nouvelles, des arts, et des peuples nouveaux. Je posséderai enfin ce fils d’Éson, que je préfère à ce que l’univers a de plus précieux. Heureuse avec cet époux, et chère aux dieux, dont j’égalerai la gloire, mon orgueil s’élèvera jusqu’aux cieux. Je sais que la mer est couverte d’écueils, dangereux ; que Carybde, toujours redoutable aux nautoniers, engloutit, autour d’eux, et revomit l’onde tournoyante ; que l’avide Scylla a ses flancs ceints de chiens dévorants dont l’affreux aboiement retentit au loin sur les mers de Sicile. Mais, unie au héros que j’aime, et reposant sur son sein, je traverserai les vastes mers sans effroi. Et que pourrais-je redouter dans ses bras ? ou, si je dois craindre, ce ne sera que pour mon époux. Ton époux ! Eh ! quoi, Médée, tu lui donnes ce nom ! ainsi tu couvres ta faiblesse du nom sacré de l’hymen ! Ah ! vois combien est horrible ce que tu médites, et fuis le crime, tandis qu’il en est temps."

Elle dit : le devoir, la piété, la pudeur, se présentent à son esprit agité ; et, déjà désarmé, l’amour semblait prêt à s’éloigner. Elle allait aux autels antiques que la terrible Hécate, sa mère, cache dans la secrète horreur d’un bois solitaire. Elle sentait se ralentir le feu qui la consume ; et la raison reprenait son empire : elle voit le fils d’Éson, et sa flamme se rallume. Une subite rougeur anime ses traits ; une subite pâleur les décolore. Ainsi qu’une légère étincelle, cachée sous la cendre, se ranime à l’haleine des vents, croît, s’étend, et forme bientôt un vaste embrasement ; ainsi l’amour affaibli dans son coeur reprend une nouvelle force à l’aspect du héros.

Et par hasard en ce jour la beauté de Jason paraissait relevée d’un nouvel éclat ; elle semblait excuser son amante. Médée fixe les yeux sur lui, comme si elle le voyait pour la première fois. Dans son égarement, ce n’est plus un mortel qu’elle croit voir ; elle ne peut se lasser de l’admirer. Mais quand Jason commence à lui parler, quand il prend sa main, qu’il implore son secours, d’une voix tendre et suppliante, et qu’il promet en même temps et son coeur et sa foi, les yeux de Médée se remplissent de larmes.

"Je sais, dit-elle, ce que je devrais faire. Ce n’est pas mon ignorance qui m’égare, c’est mon amour. Vous serez sauvé par mes soins. Mais lorsque vous aurez triomphé, songez à garder vos serments". Le héros jure par Hécate, adorée dans ce bois sous trois formes différentes. Il atteste le Soleil, qui voit tout et qui donna le jour au prince qu’il choisit pour son beau-père. Il jure enfin par sa fortune et par tous les dangers auxquels il vient de s’exposer. Son amante le croit ; elle lui donne des herbes enchantées ; il apprend l’usage qu’il en doit faire ; et, rempli de joie, il va rejoindre les compagnons de ses travaux.

Déjà l’Aurore avait fait pâlir les astres de la nuit. Le peuple de Colchos accourt vers le champ consacré au dieu Mars ; il se place sur les collines qui le dominent. Couvert d’une robe de pourpre, et portant un sceptre d’ivoire, le roi s’assied au milieu de sa cour.

Alors se précipitent sur l’arène les taureaux aux pieds d’airain. Ils vomissent, en longs tourbillons, la flamme par leurs naseaux. L’herbe que touche leur haleine s’embrase. Comme on entend les feux ardents gronder dans la fournaise ; comme la chaux, par l’onde arrosée, se dissout, et bouillonne, et frémit, les taureaux roulent les feux enfermés dans leurs flancs, et les font mugir dans leurs gosiers brûlants. Cependant le fils d’Éson marche contre eux avec audace. Soudain ils lui présentent et leurs fronts terribles, et leurs cornes armées de fer. Ils frappent du pied la terre, et remplissent les airs de poudre, de fumée, et d’affreux mugissements.

Tous les Grecs ont frémi. Le héros s’avance. Il ne sent point des taureaux la brûlante haleine ; tant les herbes qu’il reçut ont des charmes puissants ! Il flatte d’une main hardie leurs fanons pendants. Il les soumet au joug, il les presse, il les guide, et plonge le soc dans un champ que le fer n’a jamais sillonné. Le peuple admire ce prodige. Les compagnons du héros, par des cris de joie, excitent son courage. Jason prend alors les dents du dragon de Mars dans un casque d’airain ; il les sème dans les sillons qu’il vient d’ouvrir. Ces terribles semences sont imprégnées d’un venin puissant. La terre les amollit. Elles croissent, s’étendent, et forment une moisson d’hommes nouveaux. Comme l’enfant renfermé dans le sein de sa mère, s’y développe par degrés, et ne vient au monde qu’après avoir reçu la forme qui lui convient ; ces semences confiées à la terre ne sortent de son sein fécond que lorsqu’elles ont pris une figure humaine. Mais, ô prodige encore plus grand ! ces hommes secouent avec fierté les armes qui sont nées avec eux.

À l’aspect de leurs dards tournés contre le fils d’Éson, les Grecs perdent courage, et sont consternés. Médée elle-même, qui a travaillé à la sûreté du héros, frémit en le voyant seul attaqué par tant d’ennemis. Elle pâlit, ses genoux fléchissent, son sang refroidi s’arrête dans ses veines ; et craignant que les sucs enchantés dont elle arma Jason n’aient pas assez de pouvoir, elle prononce des paroles magiques, elle appelle à son secours tous les secrets de son art. Jason lance un caillou pesant au milieu des guerriers. Ainsi soudain il détourne contre eux-mêmes les combats et la mort dont ils le menaçaient ; soudain ces frères belliqueux, enfants de la Terre, s’attaquent, se détruisent, et périssent victimes de leurs propres fureurs. Les Grecs célèbrent à grands cris la victoire de leur chef. Ils s’empressent autour de lui ; ils le serrent dans leurs bras. Et toi aussi, Médée, tu voudrais embrasser le vainqueur ; la pudeur te retient : le vainqueur t’eût embrassée lui-même. Mais si le soin de ta renommée t’arrête, tu te réjouis du moins en secret, et ce sentiment t’est permis. Tu t’applaudis de tes enchantements ; tu rends grâces aux dieux qui les ont fait naître à ta voix.

Jason devait encore, par les herbes enchantées, assoupir le dragon vigilant, à la tête écaillée, aux dents de fer, à la langue aux triples dards, monstre horrible qui garde la toison. Le héros verse sur lui des sucs qui ont la même vertu que les eaux du Léthé. Trois fois il prononce des mots assoupissants, qui pourraient apaiser les flots tumultueux des mers, et suspendre les fleuves dans leur cours. Un sommeil jusqu’alors inconnu charge les yeux du monstre, et le héros enlève la toison. Fier de sa conquête, et plus encore de celle dont elle est le bienfait, il remonte sur son vaisseau, et arrive avec son épouse dans les ports d’Iolchos.

Livre des Métamorphoses d’Ovide : Éson (VII, 159-296)

Les mères des Argonautes, les vieillards dont ils sont les enfants, s’empressent aux autels des dieux pour célébrer leur retour. L’encens fume sur les feux sacrés. On immole les victimes aux cornes dorées ; mais, courbé, sous le fardeau des ans, et déjà penché vers le tombeau, Éson seul ne peut prendre part à la joie publique : "Ô vous, dit Jason, chère épouse, à qui je dois la vie ; quoique vous ayez tout fait pour moi ; quoique vos bienfaits surpassent tout ce que les mortels peuvent croire, daignez encore, s’il est au pouvoir de votre art, et que ne peut votre art ! daignez retrancher quelques ans de ma vie, et les ajouter aux ans de mon père". À ces mots, des larmes coulent de ses yeux. Témoin de sa piété filiale, Médée en est émue. Elle se rappelle le vieil Aiétès, son père, qu’elle a quitté avec des sentiments bien différents. Mais elle dissimule son émotion : "Ah ! cher époux, répond-elle, ce que ta piété me demande est un crime. Pourrais-je prolonger la vie d’un mortel aux dépens de tes jours ! Hécate m’en préserve. Ta prière est injuste. Mais j’essaierai de te faire un don plus grand que celui que tu désires. Si la triple déesse me seconde, et si par sa présence elle favorise les opérations mystérieuses de mon art, je rajeunirai le vieil Éson, sans abréger le cours de tes années".

Trois nuits devaient s’écouler encore avant que la lune eût pleinement de son disque arrondi les contours. Dès que, brillant de tout son éclat, elle montre tout entier son corps à la terre, Médée sort de son palais, la robe flottante, un pied nu, les cheveux épars sur ses épaules nues. Seule et sans témoin, elle porte ses pas incertains dans l’ombre et le silence de la nuit. Tout est dans un plein repos, et l’homme, et l’habitant de l’air, et l’hôte des forêts. Le serpent assoupi rampe sans bruit sur la terre. Le feuillage est immobile. L’air humide se tait. Seuls, les astres semblent veiller dans l’univers. Médée lève les bras vers la voûte étoilée. Elle tourne en cercle trois fois. Trois fois de l’eau d’un fleuve elle arrose ses cheveux. Elle jette trois cris affreux dans les airs, et pliant un genoux sur la terre, elle dit :

"Ô nuit, fidèle à mes secrets ; étoiles au front d’or, qui, avec la lune, succédez aux feux du jour ; et toi, triple Hécate, témoin et protectrice de mes enchantements ; et vous, charmes puissants ; arts magiques ; terre, qui produis des plantes dont le pouvoir est si grand ; air léger, vents, montagnes, fleuves, lacs profonds, dieux des bois, dieux de l’antique nuit, je vous invoque : venez tous à mon secours ! Par vous, quand je commande, remontent vers leurs sources les fleuves étonnés ; par vous, je brise, ou j’excite le courroux des mers ; je dissipe ou je rassemble les nuages ; je chasse ou j’appelle les vents. Mes enchantements font périr les serpents, ébranlent les forêts et les rochers, déracinent les arbres attachés à la terre. À ma voix, les montagnes s’agitent, la terre mugit, les mânes sortent de leurs monuments ; et toi, lune, quoique le bruit de l’airain diminue tes travaux, je te force à descendre jusqu’à moi ; à ma voix pâlissent et le char enflammé du Soleil mon aïeul, et le char vermeil de l’Aurore. Par vous, j’ai amorti les flammes que vomissent les taureaux ; par vous, je les ai domptés et soumis au joug : ils ont frémi de sillonner la terre ; par vous, les guerriers nés du serpent se sont détruits avec leurs propres armes ; par vous j’ai assoupi ce dragon, de la toison gardien infatigable ; et la Grèce a reçu cette riche dépouille conquise par mes soins.

Maintenant j’ai besoin de ces sucs puissants par lesquels l’homme, dans sa vieillesse, se renouvelle, et revient à la fleur de ses ans. Je les obtiendrai sans doute ; car les astres ne brillent pas en vain de tant d’éclat ; car ce n’est pas en vain que ce char, traîné par des dragons ailés, est descendu vers moi".

En effet, ce char était descendu des plaines de l’éther. Elle y monte ; et, caressant de la main le cou terrible des dragons, elle agite les rênes légères, s’élève dans les airs, plane sur la Thessalie, sur le Tempé ; et vers les monts qui couronnent ces contrées, elle abaisse son char.

Elle cherche les plantes que produisent l’Ossa et le haut Pélion, l’Othrys et le Pinde, et l’Olympe qui porte son front dans les nuages. Elle arrache plusieurs de ces végétaux avec leurs racines ; elle en coupe d’autres avec une faux d’airain ; elle en moissonne un grand nombre sur les rives de l’Apidane et de l’Amphryse ; elle visite celles de l’Énipée, et les ondes du Pénée, et les bords du Sperchius. Elle en trouve dans les joncs aigus qui bordent le Bébé. Elle en cueille enfin auprès de l’Anthédon, qui n’était pas encore célèbre par la métamorphose de Glaucus.

Déjà neuf jours se sont écoulés ; déjà la nuit couvre de son ombre la terre pour la neuvième fois, depuis que Médée, portée sur son char traîné par des dragons ailés, a parcouru la Thessalie : elle revient, et déjà les dragons ont dépouillé leur vieille écaille, rajeunis par la seule odeur des végétaux qu’elle a cueillis.

Elle s’arrête et descend devant la porte du palais d’Éson. Elle ne veut d’autre toit que le ciel. Elle évite les profanes regards des mortels. Elle élève deux autels de gazon, l’un à droite pour Hécate, l’autre à gauche pour Hébé ; elle les entoure de verveine et d’agrestes rameaux. Elle ouvre la terre, elle y creuse deux bassins, et plongeant le couteau dans la gorge d’une brebis noire, elle épanche son sang dans les deux fosses, répand dans l’une une coupe de vin, dans l’autre une coupe de lait chaud ; et, prononçant quelques paroles magiques, elle invoque les dieux de la terre ; elle conjure le roi des pâles ombres, et Proserpine son épouse, de ne pas hâter pour Éson le ciseau de la Parque homicide.

Quand elle eut apaisé les sombres déités par de longues prières, elle ordonne qu’on apporte le corps d’Éson auprès des magiques autels ; et, l’ayant plongé par ses enchantements dans un sommeil profond, qui ressemble à la mort, elle le couche sur les végétaux qu’elle vient d’étendre sur la terre. Elle commande ensuite à Jason et aux esclaves de se retirer, et d’éloigner leurs yeux profanes des mystères qu’elle va commencer. Ils obéissent. Médée, les cheveux épars, et telle qu’unebacchante, tourne autour des autels où brille un feu sacré. Elle plonge des brandons dans le sang de la victime, et les allume tout sanglants au foyer des autels. Elle purifie le vieillard, trois fois par le feu, trois fois par l’onde, et trois fois par le soufre.

Cependant les herbes fermentent dans un vase d’airain, qui bouillonne et blanchit d’écume. C’est là qu’elle fait dissoudre les racines, les semences, les fleurs, et les sucs puissants qu’elle a cueillis dans les vallons d’Hémonie. Elle jette encore dans le vase ardent des pierres qu’elle apporta des premières régions de l’orient ; des sables que les flots de l’Océan ont lavés sur ses rivages ; elle ajoute à ce mélange les humides influences de la lune qu’elle a recueillies pendant la nuit, les ailes hideuses et les chairs d’une chauve-souris, les entrailles d’un de ces loups qui, dépouillant leur forme farouche, prennent quelquefois d’un homme et la forme et la voix ; la peau légère et écaillée d’un serpent des eaux du Cynips, le foie d’un cerf déjà vieux, et la tête d’une corneille que neuf siècles avaient blanchie.

Après avoir rassemblé dans l’airain toutes ces matières magiques, et mille autres qui sont inconnues, elle les mêle avec une branche d’olivier sèche et nue ; et, tandis qu’elle fait remonter à la surface tout ce qui est dans le fond du vase bouillant, l’olivier aride y verdit, s’y couvre de feuilles, et en sort d’olives chargé : et partout où la violence du feu fait jaillir de l’airain et tomber sur la terre l’écume et les gouttes brûlantes, l’herbe desséchée se ranime ; les fleurs et le gazon étalent la parure du printemps.

À la vue de ce prodige, Médée ouvre avec une épée la gorge du vieillard. Elle en fait sortir tout le sang qui coulait dans ses veines, et le remplace par ces sucs merveilleux qu’Éson reçoit par sa bouche ou par sa blessure. Sa barbe, ses cheveux que les ans ont blanchis, se noircissent soudain. Sa maigreur disparaît. Sa pâleur et ses rides s’effacent. Un nouveau sang coule dans ses veines. Il a repris sa force, sa beauté, et il s’étonne de se retrouver tel qu’il était avant d’avoir atteint son huitième lustre.

Bacchus, du haut de l’Olympe, a vu ce prodige. Il veut que Médée rajeunisse par le même moyen les Nymphes de Nysa qui prirent soin de son enfance, et pour elles il demande cette faveur.

Livre des Métamorphoses d’Ovide : Pélias (VII, 297-349)

Mais il faut que l’art de Médée serve à sa perfidie. Elle feint une colère implacable contre Jason, et, fuyant loin de lui, elle vient implorer un asile au palais de Pélias. Ce prince était accablé sous le poids des années. Médée est reçue par ses filles ; et bientôt, gagnant leur tendresse par sa fausse amitié, elle leur raconte tout ce qu’elle a fait pour Jason. Elle dit le rajeunissement d’Éson, et s’arrête longtemps, et comme à dessein, sur ce prodige. Alors les filles de Pélias conçoivent l’espérance de voir refleurir la jeunesse de leur père. Elles invoquent ce bienfait de Médée. Elles ne mettent point de bornes à leur reconnaissance.

Médée se tait pendant quelques moments. Elle paraît hésiter ; et, par cette feinte irrésolution, tient en suspens leurs esprits inquiets. Elle promet enfin : "Mais, dit-elle, je prétends justifier votre confiance. Donnez-moi le plus vieux des béliers qui marchent à la tête de vos troupeaux, et que par mon art il devienne à vos yeux un jeune agneau".

Soudain on amène un bélier que l’âge a rendu caduc et languissant, et dont les cornes se recourbent en cercle autour de son front décharné. Médée ouvre sa gorge défaillante avec un couteau qu’elle retire à peine rougi d’un reste de sang. Elle coupe en pièces le bélier, et plonge ses membres palpitants dans un vase d’airain, où fermentent des sucs puissants. Aussitôt les membres du bélier diminuent, ses cornes tombent, et avec elles ses vieux ans disparaissent. Bientôt on entend dans le fond de l’airain un tendre bêlement ; bientôt aux yeux des soeurs étonnées il en sort un agneau qui fuit d’un pas léger, bondit, et cherche la mamelle. Les filles de Pélias admirent. Elles sont convaincues que Médée peut tenir tout ce qu’elle a promis. Elles redoublent alors et leurs instances et leurs prières.

Déjà le Soleil avait trois fois rafraîchi ses coursiers dans les mers d’Ibérie. La nuit avait rallumé ses flambeaux radieux, lorsque la fille perfide d’Aiétès met sur le brasier un vase rempli d’eau pure et d’herbes sans vertu. Aux magiques accents de sa voix, et par ses enchantements, un sommeil profond, image du trépas, s’empare de Pélias et de la garde du palais. Elle ordonne, et les filles du roi entrent avec elle dans l’appartement de leur père, et se rangent autour de son lit : "Eh bien ! dit-elle, âmes faibles, qui vous arrête maintenant ? Armez-vous de poignards ; épuisez les veines de ce vieillard, afin qu’un sang plus jeune vienne remplacer son vieux sang. Vous tenez en vos mains son âge et sa vie. Si la piété vous anime, si vous n’avez pas conçu des espérances vaines, secourez votre père. Que le fer attaque et chasse sa vieillesse ; que le fer ouvre un passage à son sang refroidi".

À ces mots, les filles de Pélias deviennent par piété impies, et la crainte du crime les rend criminelles. Nulle d’elles cependant n’ose regarder où elle porte ses coups. Toutes détournent les yeux, et frappent au hasard.

Pélias se réveille tout sanglant ; percé de coups, il se soulève sur son lit ; il voulait se sauver, et tendant ses bras affaiblis, au milieu de tant de poignards : "O mes filles, dit-il, que faites-vous, et quelle fureur vous arme ainsi contre les jours de votre père" ? Ces mots ont glacé leur courage, et suspendent leurs bras. Il allait poursuivre, lorsque Médée l’achève, le déchire, et le plonge dans l’airain bouillonnant.


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