Livre des Métamorphoses : Phinée

Les Métamorphoses livre cinq

D’Hermès à Ovide.

Lug Alc

Les Métamorphoses d’Ovide, récit mythologique et hermétique de la génèse ; alchimie de l’énergie vitale et de ses transmutations.
ARGUMENT. Métamorphoses de Phinée et de ses compagnons en rochers ; d’un enfant en lézard ; de Lyncus en lynx ; d’Ascalaphus en hibou ; de Cyané et d’Aréthuse en fontaines, et des Piérides en pies. Enlèvement de Proserpine. Voyages de Cérès et de Triptolème.
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29. Livre des Métamorphoses : Phinée
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Livre des Métamorphoses d’Ovide : Phinée (V, 1-235)

Tandis que le fils de Danaé raconte ces merveilles, le palais de Céphée retentit de cris tumultueux. Ce ne sont plus les chants des fêtes de l’Hymen ; c’est le bruit terrible précurseur du meurtre et des combats. Le trouble et la confusion succèdent à l’allégresse, à la joie du festin. Telle frémit la tranquille surface des ondes, quand les vents déchaînés ont troublé le repos des mers.

L’imprudent Phinée, auteur de ce tumulte, s’avance à la tête de ses compagnons, et agitant un javelot de frêne, à la pointe d’airain : "Me voici, s’écrie-t-il, perfide ravisseur de mon épouse ! me voici prêt à me venger. Ni tes ailes, ni Jupiter, que tu feins auteur de ta naissance, ne pourront te sauver de ma fureur" ! Il dit, et s’apprête à lancer son javelot : "Que faites-vous ? lui crie Céphée : ô mon frère ! quel aveugle transport vous entraîne ? Est-ce là le salaire dû à de tels bienfaits ? est-ce là le prix du salut de ma fille ? Ah ! si la vérité peut ici se faire entendre, ce n’est point ce héros qui vous ravit Andromède : c’est la colère des Néréides ; c’est l’oracle d’Ammon ; c’est le monstre odieux qui, du sein des mers, venait la dévorer ! Vous la perdîtes dès lors qu’elle fut condamnée. Cruel ! pourriez-vous préférer qu’elle eût perdu la vie ? et la douleur d’un père vous consolerait-elle de sa mort ? C’est donc peu qu’enchaînée sous vos yeux, vous ne l’ayez secourue ni comme oncle, ni comme époux. Vous plaindriez-vous encore qu’un autre l’eût délivrée, et voudriez-vous lui arracher le prix de sa victoire ? Si ce prix paraît si cher à vos yeux, il fallait le mériter sur ce rocher même où ma fille était enchaînée. Souffrez du moins que le héros qui l’a sauvée, qui, en la sauvant, a consolé ma vieillesse, reçoive la récompense qui lui est due, que je lui ai promise, et réfléchissez enfin que ce n’est pas à vous qu’on le préfère, mais à la mort inévitable qui allait nous la ravir".

Phinée se tait ; il menace de ses regards et son frère et Persée, incertain sur lequel il dirigera ses premiers coups. Il n’hésite pas longtemps, et lance sur son rival, avec la force et l’égarement de la fureur, le javelot qui s’enfonce dans le siège du héros. Soudain le héros se lève, et du même trait qu’il arrache, il eût atteint son superbe ennemi, s’il ne se fût caché derrière un autel, qui n’eût pas dû le protéger. Cependant le trait ne vole pas en vain ; il frappe au front Rhétus, qui tombe, palpite, et des flots de son sang souille les tables du festin.

Les compagnons de Phinée sont transportés d’une aveugle fureur. Les traits volent. On s’écrie que Céphée doit périr avec son gendre : mais Céphée s’est déjà retiré, attestant et la foi qu’il a jurée et les dieux de l’hospitalité, qu’il est innocent de ces désordres et de ces excès.

La guerrière Pallas vole au secours du fils de Jupiter ; elle le couvre de son égide, et soutient son courage. Athis, jeune Indien, avait suivi le parti de Phinée. Limnéé, fille du Gange, lui donna, dit-on, le jour dans ses grottes humides. Seize ans étaient son âge. Il relevait sa beauté de tout l’éclat de la parure. Vêtu d’une robe de pourpre ornée de franges d’or, il portait un riche collier ; un superbe bandeau rattachait ses cheveux parfumés de myrrhe. Quelque grande que fût son adresse à lancer au loin le javelot, il était encore plus habile à tirer de l’arc. Mais tandis qu’il le courbe avec effort, Persée saisit un tison sur l’autel, l’atteint au front, l’écrase, et le renverse expirant.

L’assyrien Lycabas verse des pleurs de rage, en voyant le bel Athis, qu’il aime tendrement, étendu sur le marbre, exhalant sa vie par sa large blessure. Il saisit l’arc qu’Athis avait tendu : "Combats avec moi, barbare ! crie-t-il à Persée. Tu n’auras pas longtemps à t’applaudir de la mort d’un enfant et d’une victoire qui te rend plus odieux qu’elle ne t’honore". Il achevait à peine : le trait vole avec force lancé ; le petit-fils d’Acrisius l’évite, le reçoit dans les plis de sa robe, et levant sur Lycabas cette épée qu’il avait teinte du sang de Méduse, il la plonge dans son sein. L’Assyrien, tournant sur Athis des yeux qui déjà s’éteignent dans les ombres de la mort, tombe sur le corps de son jeune ami, et emporte aux Enfers la consolation de le suivre et de mourir avec lui.

Cependant le fils de Métion, Phorbas, qui naquit à Syène, et Amphimédon de Libye, trop empressés au combat, glissent et tombent dans le sang dont le palais était inondé. Ils se relevaient : le fatal cimeterre atteint l’un à la gorge, et frappe l’autre dans les flancs. Mais il faut d’autres armes contre Érytus, fils d’Actor, qui s’avance portant, au lieu d’un javelot léger, une pesante hache d’airain. Le héros saisit sur la table, à deux mains, une urne, masse énorme, ciselée par une main savante, et la jette sur son ennemi, qui, vomissant un sang épais, presse la terre de son corps palpitant. Déjà Polydegmon, qui se disait issu de Sémiramis ; Abaris, qui fut nourri sur le Caucase ; Lycétus, né sur les bords du Sperchius ; Hélix, à la longue chevelure ; et Clytus, et Phlégyas, sont tombés sous les coups du fils de Jupiter. Il foule aux pieds des monceaux de morts ou de mourants.

N’osant combattre de près son redoutable ennemi, Phinée lui lance un second javelot, qui s’égare et va percer Idas, Idas, qui, malgré lui témoin du combat, n’avait pas combattu. Il lance un regard terrible sur Phinée, et s’écrie : "Puisque tu me forces à prendre un parti, défends-toi de l’ennemi que tu viens de te faire, et paie de ton sang le mien par tes mains répandu !". Il dit, et veut lui renvoyer le fer qu’il arrache de sa blessure ; mais le sang en jaillit avec trop de violence ; il tombe, il expire sans pouvoir se venger.

Hoditès, qui ne reconnaît au-dessus de lui que Céphée, est abattu par Clymène ; Prothoénor, par Hypsée ; Hypsée lui-même par le Lyncide. Au milieu de cette foule au carnage échauffée, paraît Émathion, vieillard, ami de la Justice, et qui craint les dieux. Le poids des ans le rend inhabile aux combats : il combat de la voix. Il maudit ces funestes divisions et cesarmes impies. Mais tandis que ses mains tremblantes embrassent l’autel, Chromis fait tomber sa tête dans les feux sacrés ; et son âme s’exhale dans les flammes, en murmurant des imprécations contre les meurtriers.

Phinée fait descendre chez les morts Ammon et Brotéas, qui furent portés ensemble dans le même sein, et qui eussent été invincibles, si le ceste eût pu vaincre l’épée. Il immole Ampycus, prêtre de Cérès, dont le front est ceint du bandeau sacré. Tu péris aussi, fils de Japet, toi qui n’étais pas né pour les jeux sanglants de la guerre, mais pour célébrer sur ta lyre les douceurs de la paix, et qui n’étais venu dans ces lieux que pour chanter l’Hymen, sa fête, et ses plaisirs. Pettalus l’avait vu s’éloignant de la scène du carnage, et tenant sa lyre, arme trop inutile : "Va, dit-il, avec un ris moqueur, achever tes chants dans les Enfers". Il le frappe alors à la tempe gauche : l’infortuné chancelle, tombe, et les cordes de sa lyre rendent un son lamentable sous ses doigts mourants.

L’intrépide Lycormas ne laisse point ce meurtre sans vengeance. D’un bras nerveux il arrache de la porte une barre de fer, et frappe Pettalus, qu’il écrase, qu’il abat, comme sous la massue tombe un jeune taureau. Pélatès, qui naquit sur les bords du Cinyps, voulait arracher un autre barreau : Corythus, qui vint de la Marmarique, perce d’un trait aigu sa main, qui reste attachée à la porte. Abas l’achève en lui perçant le flanc, et, sans tomber, Pélatès expire suspendu par la main.

On voit périr Mélanée, qui avait suivi le parti du héros, et Dorylas, le plus riche des Nasamons, qui possédait de vastes champs, d’innombrables moissons. Le fer qui l’a blessé s’arrête dans l’aine, où les coups sont mortels. Le bactrien Halcyonée, qui l’a frappé, voyant ses yeux déjà couverts des ombres du trépas, insulte à ses derniers soupirs : "De tant de champs dont tu fus le maître, qu’il te reste seulement l’espace qui couvre ton corps !" Il dit, et s’éloignait ; mais Persée va venger Dorylas ; il arrache de sa blessure fumante le javelot qu’il renvoie au Bactrien. Le fer l’atteint au front, le traverse, s’y fixe, et paraît également des deux côtés de la tête.

Tandis que la fortune seconde son courage, le fils de Jupiter frappe diversement Clytius et Clanis, nés d’une même mère. Un trait fortement lancé perce les deux cuisses du premier ; le second reçoit un javelot qu’il mord avec rage dans sa bouche sanglante. Persée immole Céladon, de Mendès ; Astrée qui doit le jour à une mère de Syrie, et dont le père est incertain ; Éthion, habile autrefois dans l’art de connaître l’avenir, mais qui dans ce jour n’a pu prévoir sa destinée ; et Thoactès, écuyer de Phinée ; et Agyrtès, infâme par le meurtre de son père.

Cependant les ennemis à vaincre l’emportent par le nombre sur ceux qui sont vaincus. À la perte d’un seul, mille sont encore acharnés. Tous combattent contre la justice, contre la foi donnée. Le héros n’a pour lui que les pleurs de son beau-père, de la reine, et de sa nouvelle épouse, qui remplissent le palais de vains gémissements. Leurs voix sont étouffées par le bruit des armes et par les cris des mourants. Bellone arrose de sang les pénates du palais, et renouvelle sans cesse la mêlée et la fureur des combattants.

Phinée et ses mille compagnons entourent et pressent le héros. Les traits volent autour de lui, brillent à ses yeux, sifflent à ses oreilles : telle et moins épaisse est la grêle qui tombe en hiver. Il appuie son dos contre une haute colonne, et ne pouvant plus être surpris par derrière, tourné contre la foule, il en soutient tous les efforts. Mais à la fois l’attaquent et lepressent d’un côté Molpée, de Chaonie, de l’autre le nabathéen Échemmon. Tel qu’un tigre qui, pressé par la faim, s’il entend mugir deux troupeaux dans diverses vallées, hésite sur celui qu’il doit attaquer, et voudrait les attaquer ensemble : tel Persée, incertain s’il doit frapper à droite ou à gauche, blesse enfin Molpée au-dessus du genou ; Molpée s’éloigne, et sa fuite suffit au héros. Échemmon furieux le presse ; il veut l’atteindre à la tête ; mais dans son aveugle transport il frappe la colonne, le fer se brise et vole en éclat : un éclat rejaillit et se fixe dans sa gorge. Cependant la blessure n’était pas mortelle. Échemmon frémit ; il tend des bras suppliants au vainqueur, qui enfonce dans son flanc le glaive de Mercure.

Voyant enfin que son courage allait succomber sous le nombre, "Puisque c’est vous-mêmes qui m’y forcez, s’écria-t-il, j’emprunterai pour vous vaincre le secours de l’ennemi que j’ai vaincu. S’il me reste quelque ami parmi vous, qu’il détourne les yeux" ! et il présente à ses ennemis la tête de la Gorgone : "Cherche ailleurs, dit Thescélus, quelqu’un qui se laisse effrayer par de vains prodiges" ! et levant sa main pour lancer un trait fatal, il devient marbre, et garde son attitude. Ampyx était auprès de lui : il allait frapper de son glaive le vaillant et généreux Lyncide ; son bras s’arrête immobile, et durcit étendu. Nilée, qui se vantait faussement d’être fils du Nil, et qui portait sur son bouclier les sept bouches du fleuve gravées en or et en argent, s’avance sur Persée : "Regarde, lui disait-il, les preuves de ma superbe origine, et emporte aux Enfers la consolation et l’honneur de mourir de ma main ." Il ne peut achever ces derniers mots à demi prononcés. Sa bouche reste ouverte, mais ne peut plus faire entendre aucun son.

"Lâches, leur crie Éryx, ce n’est point le tête de la Gorgone, c’est l’effroi qui glace vos coeurs et vos bras. Avancez avec moi, et faites mordre la poussière à ce jeune audacieux qui n’a d’autres armes que de vains enchantements". Il voulait s’élancer : ses pieds s’attachent à la terre ; ce n’est plus qu’un rocher inanimé, qu’un simulacre de guerrier.

Ils avaient tous mérité ce châtiment : mais un soldat qui suivait le parti de Persée, l’imprudent Acontée, regarde par hasard, au milieu du combat, la tête de la Gorgone, et soudain il demeure immobile et transformé. Astyage, qui le croit encore vivant, le frappe de son épée, qui rebondit et rend un son aigu ; et tandis qu’il s’étonne de ce prodige, il est marbre lui-même, et conserve dans ses traits un air de surprise et d’étonnement.

Il serait inutile de dire tous les noms des guerriers de Phinée. Deux cents restaient encore échappés au glaive des combats : deux cents furent par la Gorgone en pierre transformés.

Phinée se repent enfin d’avoir allumé cette injuste guerre. Mais à quoi se résoudra-t-il ? il n’aperçoit que des simulacres inanimés, dans diverses attitudes. Il reconnaît en eux ses amis ; il les nomme, il les appelle, il invoque leur secours. Ne pouvant en croire ses yeux, il touche ceux qui sont près de lui : c’est du marbre que presse sa main. Il recule, il détourne latété, et tendant à son ennemi des mains vaincues et des bras suppliants, il s’écrie : "Tu triomphes, Persée ! écarte le visage de ce monstre, s’il fait lui-même ces prodiges ! écarte-le, je t’en conjure. Ce n’est ni la haine, ni la soif de régner qui ont armé mon bras. J’ai combattu pour une épouse. Tes droits sont tes bienfaits ; les miens sont le temps et mon amour. Je me repens d’avoir disputé ta conquête.Ô vaillant Persée, ne m’accorde plus rien que la vie. Tout le reste est à toi."

Il dit, et n’ose regarder celui qu’il implore, "Rassure-toi, timide Phinée, répond le héros. Je t’accorderai ce que tu demandes, ce qui est d’un si grand prix pour les lâches : tu ne périras point par le fer. Je ferai plus : tu seras un monument éternel de ma clémence. On te verra toujours dans le palais de mon beau-père ; et mon Andromède y sera consolée par ta vue de la perte d’un époux qui lui fut destiné."

Il dit, et présente la tête de la Gorgone du côté vers lequel Phinée détournait ses regards effrayés. Phinée veut l’éviter : sa tête et son cou se raidissent ; ses yeux sont du marbre ; ses larmes, du cristal. Il conserve son air timide, son humble visage, ses mains suppliantes, et son front où reste empreinte la bassesse du crime.