Mode

haute couture automne-hiver 2005 - 2006

Galliano à tombeau ouvert

Du show célébrant le centenaire de la naissance de Christian Dior à la simplicité noble d'Adeline André.

par Sabrina CHAMPENOIS et Olivier WICKER
QUOTIDIEN : jeudi 07 juillet 2005

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Tout le monde s'en accorde : la haute couture, cette peau de chagrin à laquelle désormais trois journées de défilés suffisent, aurait besoin d'un bon coup de fouet. Une chose est sûre : l'électrochoc ne viendra pas d'Armani. Mama mia, quel ennui cette cinquantaine de modèles surchargés ! ça brille, ça chatoie, ça abonde de rubans, dentelles, paillettes (en clair, on en a pour son argent), mais, hormis une gagnante du Loto qui voudrait se faire une garde-robe de nouveau riche, on ne voit pas qui pourrait guigner ça : un vestiaire qui relève exclusivement du soir (ou alors pour le jour au festival de Cannes, royaume du sursapage), avec force fourrure (vison, loup, renard argenté...), satin, dentelle, paillettes, volants, rubans et même du bébé caïman. Logiquement, beaucoup de robes de cocktail dînatoire, majoritairement bustier, plongeantes dans le dos, avec traîne plus ou moins longue. Bon, on sauvera celle en jersey de soie noir nervuré, relevée sur une épaule, et celle de danseuse, en dentelle brodée de jais à motifs floraux : deux modèles plutôt sobres, où le corps semble moins engoncé. Les bérets en maille pailletée et le petit sac bourse noir tiennent aussi la route.

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Le corps respire bien chez le jeune Portugais Felipe Oliveira Baptista, où de très jeunes filles aux cheveux courts et joliment hérissés, comme coupés dans une botte de paille, ressemblaient à des oisillons tombés du nid. Entre crème et noir, cette collection fait la part belle aux «petites robes» qui dégagent une épaule frêle ­ boule avec deux maxipoches, ou souple, en satin plissé, ou en voile (qui dévoile un shorty). Elles peuvent aussi se finir en pantalon, par un jeu avec le sarouel, pour un côté carrément décontracté. A combiner avec des petits blousons ultracourts satinés ou cette veste de kimono en satin crémeux. Le tout manque d'un parti radical qui distinguerait plus nettement l'affaire du prêt-à-porter, mais c'est joli.

L'affirmation de soi, John Galliano sait très bien faire et l'a encore prouvé avec son hommage au centenaire de la naissance de Christian Dior. C'est une calèche-corbillard monogrammée CD et emmenée par deux lourds chevaux noirs qui a lancé le show. Aux portes d'un cimetière, des statues et des chandeliers gisent à l'abandon. En dix tableaux tous plus délirants les uns que les autres, le démiurge britannique va s'appliquer à réveiller un mort (Christian Dior) en quarante-trois modèles. Premières à ouvrir un bal chez les morts vivants, façon Tim Burton, des Morticia au regard qui disparaît derrière une voilette, cheveux gris parsemés de toiles d'araignées (chapeau surmonté parfois d'un oiseau empaillé), lèvres suie. Leurs longues robes de tulle, au volume déplacé sur la hanche, révèlent un corset, omniprésent tout au long de cette démonstration patrimoniale. Ainsi, au chapitre «construction d'une robe», qui s'ouvre sur fond de voix d'outre-tombe : celles de CD lui-même («je voulais être architecte»), puis d'un reporter du temps de la TSF. En tulle et taffetas, les mannequins arborent un bracelet de couturière piqué d'aiguilles, le corset porte des inscriptions comme les mannequins de bois sur lesquels on travaille dans les ateliers. Plus loin, le New Look (1947, taille cintrée, poitrine haute, épaules petites et rondes et jupes au bas du mollet) prend des airs péruviens (broderies de raphia multicolores, petit chapeau), toujours sur une base de tulle. La machine à remonter le temps s'accélère. Nous voilà à Hollywood : Linda Evangelista, Naomi Campbell et Shalom Harlow, la triplette des tops du début des années 90, ressuscitent Marlene Dietrich, Lauren Bacall ou Ava Gardner dans de longues robes aux somptueux dégradés...

In memoriam, définitivement, et sans actualiser artificiellement un héritage. Jusqu'à la marche funèbre, intitulée «Bal masqué»: toutes en blanc hormis Alek Wek (censée incarner la «vertu»). La Calamity Jane à chapeau de mousquetaire oversize, mule Richelieu, tient une carabine en main (pour tuer le père ?). N'importe, un ange veille : la rousse Lily Cole avec tiare et ailes. Amen.

Après ces funérailles en grande pompe, le défilé d'Adeline André dans le jardin de l'hôtel Bruant, autour du bassin cerclé de buis, a fait l'effet d'une oasis de calme et de volupté. Sur de belles femmes altières, qui n'ont pas forcément moins de 15 ans, ces fameux manteaux, vestes, tuniques à trois emmanchures. Leur noblesse est émouvante, tout comme celle des tissus, qui dégagent une simplicité aux antipodes de leur intitulé («tissage artisanal japonais de cashmere et soie cryptomère», «doeskin if»). Résultat, une collection vraiment de saison, à la sensualité douce, moins «monacale» que certaines précédentes propositions d'Adeline André. Emergent notamment ce manteau-caftan à un bouton et couleur paprika en hommage au couturier Paul Poiret, ou une robe longue en gorgette de soie bleu nuit dont il suffit de faire glisser l'écharpe à cardigan pour révéler un dos plongeant.

Photo Matthieu Zazzo


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