Mode

Spécial mode

Printemps précoce

Avec l'arrivée d'une nouvelle génération de créateurs et d'un festival de jeunes filles en fleurs, en blanc et en couleurs, un courant d'air frais a soufflé sur les défilés prêt-à-porter printemps-été 2006.

par Sabrina CHAMPENOIS et Françoise-Marie SANTUCCI
QUOTIDIEN : vendredi 14 octobre 2005

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Alors, la prochaine tendance ? Au moment où l'on commence à s'emmitoufler dans l'automne, le calendrier de la mode nous convoquait, du 2 au 10 octobre, à assister aux présentations des collections printemps-été 2006, qui arriveront en magasins à partir de mars. Cette semaine du prêt-à-porter féminin ­ le plus gros marché du secteur en termes économiques ­ proposait 83 défilés «officiels», de Dior à Saint Laurent en passant par Lacroix. Sans compter les innombrables présentations en «off», les créateurs qui recevaient en show-room ou les salons, comme Rendez-vous, qui ont accueilli des dizaines d'aspirants couturiers venus du monde entier. Voilà donc nos cinq choix, conformes aux nouveautés des podiums.

La belle voyageuse

Ce millésime printemps-été 2006 a souvent pris la tangente, direction le bord de mer sinon les antipodes, globalement loin de la ville (vive les congés payés !). A commencer par Jean Paul Gaultier en forme olympique, qui l'a jouée terroir flamboyant (blouses, jupons, chemises blanches, costumes d'hommes sur bottes de ferme) pour sa propre marque puis néocoloniale pour Hermès (avec somptueuses matières, suggestives dentelles, panamas et ombrelles doublées d'une cravache... hum). Christian Lacroix a mis le cap entre la Riviera et Marrakech, tout en fluidité et raffinement : de la saharienne à la robe longue en mousseline, d'imprimés fleuris en motifs plus graphiques, la silhouette est ici longiligne, mais décorsetée, apaisée. Dries Van Noten esquisse une arpenteuse de chemins de traverse, qui télescoperait les imprimés sans trop y regarder, et passerait du short au léger manteau japonisant avec la même grâce éthérée. Chez Kenzo, c'est embarquement immédiat à bord d'un paquebot d'antan, ode à la marinière et aux garçonnes en pantalons et bérets à pompons, mais aussi aux robes longues pour briller sur le deck le soir venu. Une vague sur laquelle surfe aussi Tsumori Chisato, avec ses robes amples, oniriques et graphiques, jalonnées d'une étoile de mer, d'une sirène, d'une ancre... Et puis il y a les invitations aux voyages intersidéraux, avec Yohji Yamamoto et Hussein Chalayan. Le premier ravit avec un manteau à longue traîne ou à dos de dinosaure dont on se fiche qu'ils soient théoriquement importables, le second saisit avec ses robes à décolleté en vasques et ses cols pyramidaux, et les deux se rejoignent autour de tuyaux qui s'enroulent sur une robe (YY) ou l'articulent (Chalayan).

La Miami bitch

«A quoi ça sert d'avoir plein de thunes si on ne peut pas le montrer ?» pourrait être la devise de la fille (rivale de la précédente) qui s'est profilée chez Vuitton, Stella McCartney et Alexander McQueen. Haut perchée (mais personne n'est à plat au printemps-été 2006), elle s'habille très court (short chez McCartney, minirobe chez Vuitton, tunique de gladiateur ras la fesse chez McQueen), a la taille (de guêpe, ça va sans dire) bien marquée (ah, les ceintures wonderwoman de McQueen...), ne craint pas les couleurs flashy y compris en vernis, assume même une tendance SM (le cuir de McQueen, encore), et promène un sac pour chaque activité (jamais très loin du drink en bord de marina ou du buffet orgiaque). Décomplexé, le propos a le mérite d'assumer sa frivolité (tempérée chez McCartney par des pièces plus sportswear) et ses visées clairement mercantiles : Britney Spears va adorer, tout le reste de la planète aussi. En contre-exemples, on citera la collection Miyake sous le signe du bambou, avec ces filles coiffées de sortes de sculptures écolos et glissées dans des robes à filins ou à imprimés amazoniaques... L'affaire, poétique et évanescente, se conclut sur l'ensemble corset et jupe en bois (mais Yamamoto avait déjà fait le coup à l'automne-hiver 1991). Dans ce registre peut-m'importent-les-contingences-matérielles, Cosmic Wonder a récidivé avec ses cotonnades bio mais sans se renouveler. Or des colliers façon Rahan sur mannequins cryogénisés ne suffisent pas à faire rêver.

La tendre cousine

Très présente aux défilés milanais qui précédaient la session parisienne, la tendance lingerie s'est confirmée à Paris. Univoque chez Dior, avec un défilé dominé par la couleur chair et le corset, elle apparaissait ailleurs de manière régulière, par des rappels du déshabillé très «je sors juste de mon boudoir» muté en robes de soirée, fines bretelles et décolletés plongeants à l'appui. C'est notamment le cas chez Viktor & Rolf qui, en écho au lancement de leur ligne de lingerie, les renversent et les superposent. Le recours au blanc, notamment brodé, pour des jupons et des liquettes, évoque aussi le linge de maison d'antan ­ like a virgin. Chez Charles Anastase par exemple, dont les baby dolls se mâtinent de soeurs Ingalls (la Petite Maison dans la prairie) avec leurs robes de servantes à gros noeud dans le dos, ou à taille Empire et broderies (mais frappées parfois d'une tête de mort). Un registre jeunes filles en fleurs dans lequel s'inscrit aussi le Suédois Lars Nilsson, qui, chez Ricci, joue mezzo voce des grosses rayures, les dope gentiment de bretelles de couleurs sur des robes bain de soleil croisées dans le dos. Ses héroïnes bien sous tous rapports pourraient aussi piocher dans la collection plus urbaine de Phoebe Philo, qui, chez Chloe, propose des robes chemisiers en lin écru, avec rangées de délicats boutons recouverts, ou encore des robes trapèze à broderies, des manches ballons, des volants... L'option girly se confirmait également à la visite de l'installation d'Isabel Marant (lire page VII) ; tout comme chez Paul Smith, qui dévoilait un show-room (il défile à Londres) assez inédit. Cette fois-ci inspiré par Jane Birkin, le prince de la rayure file une veine romantique, avec moult dentelles, effets de transparence et toile de Jouy. Malgré tout, l'esprit Smith, soit un mélange subtil de codes féminins et masculins (en gros : fleurs et costards) demeure, puisque ces vêtements s'adressent, dans l'imaginaire maison, à une «jeune fille» en villégiature dans «un manoir anglais, où elle pique une veste à son boy-friend et un gilet à sa grand-mère». Pour apporter du tranchant, la conception de Martin Margiela est rock et euphorique : ses robes en cours de réalisation, effilochées, à coulées de peinture sur le buste apportent un érotisme joyeux («Love is in the air», clamait la bande-son). Il se dit qu'à la faveur du rachat de sa maison par Diesel, le créateur invisible pourrait faire son entrée en haute couture.

La rétro-chic

Fini de broder sur le vintage et la restitution à l'identique de modes passées, cette fois l'heure est au rétro revisité, réactualisé. C'est logiquement le cas dans les grandes maisons, où l'on cite clairement les archives tout en s'en affranchissant avec plus ou moins de fermeté. Un travail remarquable chez Balenciaga, où Nicolas Ghesquière marche sur un fil. D'un côté baroque, de l'autre rock. Il est allé puiser dans les vieilles collections maison, 1948 en l'occurrence, pour créer ces pantalons aux tailles ornées d'arabesques, ces spencers brodés et de tailleurs-pantalons inspirés des uniformes des universités anglo-saxonnes. Chez Chanel, Karl Lagerfeld rendait visite à James Dean et aux fifties, avec une relecture assez drôle des Perfectos, quelques shorts serrés et de grandes capes de couleur. Albert Elbaz pour Lanvin effectuait une traversée racée des années 40-60, de ces robes-chemisiers à cravate très «secrétaire des armées pendant la Seconde Guerre mondiale» à ces courtes robes kimonos ceinturées façon obi (bandeau de soie large à plusieurs épaisseurs), jusqu'aux jupes noires à taille haute bien marquée et traîne. D'une maîtrise indiscutable, la partition ibérisante de Stefano Pilati pour Yves Saint Laurent, avec un tombereau de jabots, pompons, noeuds, proposait notamment, comme en écho à l'un des codes maison les plus fameux, une ligne de jupes droites à taille haute qui entravent sensuellement la marche, et des capes du soir d'un beau romantisme de cape et d'épée. Vanessa Seward, elle, se coule avec aisance dans le moule chic d'Azzaro (lire aussi page V), dont elle dope le vestiaire marqué par les bustiers drapés, la transparence et les plissés. Ses robes fluides et proches du corps sont impeccablement sophistiquées, s'arrêtent idoinement au genou, jouent la sensualité franche (profonds décolletés en V) ou plus sulfureuse (le modèle «Vertu», boutonné très haut mais avec ouverture aux seins, dans laquelle on verrait bien une protagoniste d'American Psycho...). L'heure est au cocktail en bord de piscine hollywoodienne , avec un air d'années 80 qui évite la ringardisation.

La goth-futuriste

De ce déluge de dentelles émergent quand même quelques shows plus acérés. Junya Watanabe, par exemple, a fait forte impression, qui coiffe ses modèles d'immenses crêtes iroquoises blanches et noires pour un défilé à la fois punk, metal et futuriste. Matrix n'était pas loin, et l'on a adoré ces trenchs à la découpe impeccable, près du corps et parfaits pour une virée backstage dans le vaisseau de Neo.

Mais c'est indubitablement le show Givenchy, pensé par Riccardo Tisci (lire page V) avec son exposition de modèles aux yeux entourés de noirs, inquiétantes et évoluant au ralenti, qui provoque le choc de la semaine. Un choc graphique en noir et blanc, avec des jupes serrées presque bondage, des robes de jersey et d'étranges chaussures quasiment orthopédiques. Presque un happening, entre Fellini et Vanessa Beecroft, David Lynch et Eyes Wide Shut. Certains ont détesté, nous avons adoré.


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