Mode

Prêt-à-porter printemps-été 2006

Givenchy, séance de magie noire

La maison renaît avec l'univers trouble de Riccardo Tisci, et Dior entame sa cure de simplicité.

par Sabrina CHAMPENOIS, Françoise-Marie SANTUCCI et Olivier WICKER
QUOTIDIEN : jeudi 06 octobre 2005

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Dans le ventre métallique du Grand Palais, les mannequins semblent flotter comme un banc de minuscules crevettes. John Galliano pour Dior avait mardi soir la lourde responsabilité d'inaugurer le lieu. L'Anglais, habitué des effets spéciaux hollywoodiens, a pris tout le monde à contre-pied. Dans la lignée de son défilé de haute couture, en juillet, où il avait montré des vêtements aux différents stades de leur élaboration, il dénude ici son style, ne proposant quasiment que des robes mousseuses et froufroutantes. Et, pour corser l'affaire, presque toutes sont dans le même ton «nude» (dixit le programme), à savoir une monotone et étrange couleur chair, qui évoque à la fois les tutus et les culottes de grand-mère sur les catalogues de VPC. Que peut-on en conclure ? Que John Galliano a enfin compris que la surenchère d'artifices était une voie sans issue. Après cette plongée dans un univers «filles de David Hamilton batifolant en cure à La Bourboule», il serait quand même heureux qu'il entame sa renaissance sans perdre son sens de l'humour. Next time, un peu plus piquant, John !

Le lendemain, sous des néons eighties en sous-sol du Louvre, Karl Lagerfeld pour Lagerfeld Gallery s'est livré à un exercice de style qu'il affectionne : comment être strict sans être ennuyeux. Les spencers, les chemises blanches (agrémentées de longues bandes de tissu flottant aux poignets) et les robes reposent sur une architecture simple et tenue. La rigueur presque nordique de l'ensemble est atténuée par des découpes d'ovales ou de cercles assez pop et le sérieux de l'affaire habilement déminé par le mix electro (signé Michel Gaubert) qui susurrait des phrases chaudes et salaces.

La rigueur mais, là, plutôt romantique, avec un côté rétro, c'est l'option défendue par le Belge Bruno Pieters, qui propose une silhouette ultrafine à la Audrey Hepburn : buste ajusté dans des spencers blancs à rangées de 0 petits boutons, qui s'évasent à la taille avec un joli effet cloche. Effet que l'on retrouve dans des robes retenues à l'épaule par de délicates bretelles. Une collection printanière (même le smoking bermuda noir), avec un passage gris perle particulièrement réussi. Reste que tout ça est un brin trop de bon ton pour donner le grand frisson... La veille, le défilé-installation de Cosmic Wonder, pourtant placé sous le signe de l'éclipse, n'avait pas non plus ouvert la voie à un ravissement stratosphérique. La radicalité est bien là, on a toujours l'agréable sensation d'entrer dans un cocon new age avec ces mannequins (garçons et filles) en état de stase, le coton bio prédomine, naturel ou dans des teintes pastel (vert, mauve), on retrouve les vestes d'esprit kimono, les robes nouées... Mais, cette fois, le vêtement ne présente pas la tranquille magnificence de la collection précédente du frêle Maeda Yukinori, et il nous faudrait vraiment attaquer la moquette pour envisager sérieusement cette garde-robe.

Dans le hall de béton du Tennis-Club de Paris, une énorme boule blanche coupe l'espace, et il faut attendre l'arrivée de Bernard Arnault et de sa femme pour que le défilé du tout nouveau Riccardo Tisci pour Givenchy (c'est sa seconde collection, et la première en prêt-à-porter) commence. «Défilé» n'est d'ailleurs pas le mot adéquat car c'est avec une lenteur solennelle, hypnotique, que les mannequins apparaissent et évoluent dans ce décor futuriste. Leur maquillage ­ de gros cernes noirs qui leur font des yeux de cadavre ­ accentue l'allure de prêtresses d'un nouveau culte. Minute après minute, le malaise est de plus en plus palpable. On se sent voyeur sommé d'observer ce rituel sexuel et glacé, sur une musique (excellent set signé Mode-F) où se croisent un remix de Chris Isaak et un morceau ralenti de Bluebob, le groupe de David Lynch. On pense à la scène des masques de Eyes Wide Shut ou aux ambiances chargées de Belle de jour. Les vêtements sont très graphiques, en noir et blanc, les robes près du corps enserrent les filles, et les sandales ou bottes presque orthopédiques tirent vers le SM. C'est dérangeant, bizarre, maîtrisé. Riccardo Tisci vient de donner un coup de fouet aux collections d'été.


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