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Contrefeux.com
Publié le 13/05/2008 par Julia Van Aelst
Perdu en pleine Cisjordanie, Taybeh, l'Ephraïm biblique, est devenu le seul village d’Israël et des territoires palestiniens dont la population est entièrement chrétienne. Il met tout en œuvre pour garder sa spécificité chrétienne car il est confronté à un problème présent dans toute la Terre Sainte : la fuite des Chrétiens.
C’est un petit village perdu en plein milieu de la Cisjordanie, à une trentaine de kms au nord-est de Jérusalem, perché en haut d’une colline surplombant la vallée du Jourdain. Contre les murs de la petite église, de jeunes adolescents arabes en baskets et en jeans, rient à gorge déployée. Ils sont tous chrétiens et ont entre 16 et 20 ans. Cette semaine, ils sont en vacances car c’est la Pâques orthodoxe. Ils bronzent sur l’esplanade en écoutant la radio arabe qui est allumée dans la voiture. Les jeunes filles s’appellent Viviane, Mariana, elles portent le vernis à ongle rouge, de grandes queues de cheval, des boucles d’oreille en forme de croix. Mariana, mâchant ouvertement son chewing-gum, décroche son Motorola dernier cri. De l’autre main, elle tient une petite Bible.
Taybeh est le seul village d’Israël et des territoires palestiniens dont la population est entièrement chrétienne
Dans le Nouveau Testament, il est écrit que Jésus se retira dans cette ville, autrefois appelée Ephraïm, et qu’il y demeura avec ses disciples. Les habitants sont fiers de cet héritage. Aujourd’hui, Taybeh, qui signifie "la généreuse" en arabe, est devenu le seul village d’Israël et des territoires palestiniens dont la population de 1 500 habitants est entièrement chrétienne. Son nom fait référence à un épisode historique, quand sous le roi Saladin, des Musulmans furent accueillis généreusement dans l’ancienne Ephraïm. Aujourd’hui, Taybeh met tout en œuvre pour garder sa spécificité chrétienne, même si la ville est entourée d’une part, d’implantations israéliennes et d’autre part, de villages arabes musulmans.
"Ici, c’est une vraie tour de Babel, on y parle toutes les langues !"Dans le village, une communauté de sœurs et de volontaires de tous les pays, anime le centre Charles de Foucauld, qui accueille pèlerins et chrétiens du monde entier pour un repas, une nuit, une retraite ou une rencontre avec l’église locale. Installée à Taybeh depuis 1998, cette communauté dépend de la "Sainte Croix de Jérusalem", rattachée au Patriarcat latin. La Sœur Annie, originaire du Nord de la France, est arrivée dans le village il y a trois mois. "Je suis très heureuse d’être ici et de faire vivre le centre", dit-elle. Une des volontaires est quant à elle, originaire du Mexique. "Ici, c’est une vraie tour de Babel, on y parle toutes les langues !" Il y a aussi un jeune couple marié de Français, la vingtaine. Lui a fini ses études de communication, elle continue ses études de droit par correspondance et donne des cours de français dans la petite école qui est collée à l’église et qui comprend 450 élèves. Parmi eux, 1/3 sont pourtant musulmans. L’objectif est de leur apprendre la coexistence pacifique, notion primordiale sur une terre rongée par les conflits. Le couple est là pour deux années, par conviction religieuse. "C’est très agréable de vivre ici. Bien sûr, le village est très petit mais cela nous permet de bien connaître les gens car nous sommes souvent invités chez eux, c’est comme une petite famille", confie la jeune femme.
Les Chrétiens de Taybeh sont divisés en trois communautés
"Sans les Chrétiens, les lieux saints ne sont que des pierres froides"Les Chrétiens de Taybeh sont divisés en trois communautés : les orthodoxes, les catholiques melkites et les catholiques latins. Pourtant, leurs rapports sont bons, basés sur le compromis. Chaque communauté chrétienne doit en effet respecter les différents calendriers et assister à toutes les fêtes. "Nous tenons à cette unité", dit le prêtre palestinien qui gère la paroisse. Il s’appelle Raed Abusahlia et il essaie depuis des années de redonner vie à Taybeh en vendant de l’huile d’olive. Car le village est confronté à un problème présent dans toute la Terre Sainte : la fuite des Chrétiens. A l’heure actuelle, il n’en reste que 60 000 dans tous les territoires arabes. A titre d’exemple, la population de Taybeh s’élevait à 3 400 habitants dans les années 1960 contre 1 500 aujourd’hui. Le père Raed se plaint de la seule présence des touristes en Terre Sainte : "Sans les Chrétiens, les lieux saints ne sont que des pierres froides". Pour lui, la seule solution est de créer une micro-économie locale dynamique, considérant que les Chrétiens ne doivent pas être assistés : "le travail est une valeur fondamentale". Il a alors pensé profiter de la présence de nombreux oliviers autour du village. L’huile d’olive est maintenant vendue en Europe, et en France dans les rayons "commerce équitable" des supermarchés. Le père a également créé des lampes de la paix qui ont la forme de colombe. Il tient à son objectif symbolique d’en placer une dans toutes les églises du monde comme message d’espoir.
Le père Raed est fougueux et dynamique, il a des idées bien arrêtées, parle de politique et de géostratégie sans aucun problème. C’est un prêtre qui semble comprendre les petits problèmes du quotidien, comme les grandes questions mondiales. Il pense que les Chrétiens ont un rôle à jouer dans la région : "un Chrétien doit être un pont entre Musulmans et Juifs, ils ne doivent pas prendre partie. C’est le message qu’on essaie de faire passer à ceux qui viennent ici nous rencontrer". Pourtant, le père Raed déclare au nom de tous les habitants qu’ils se sentent eux aussi pris au piège derrière le mur, au même titre que les autres Palestiniens. "Maintenant, il y a ce qu’on appelle ici, la phobie de l’accouchement, car depuis le début de la seconde Intifada, 76 femmes ont du accouché contre les barrages militaires. Il a fallu créer des petites structures d’accueil pour ces femmes". Le père Raed avoue qu’au fond d’eux, les Chrétiens arabes de Taybeh veulent farouchement la création d’un Etat palestinien. En attendant, il garde le sourire et de son regard malicieux, il confie : "Dans ce pays, il vaut mieux rire sinon on meurt de dépression".
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