Stefan Brijs Écrivain
propos recueillis par PHILIPPE DE BOECK
Le Soir lundi 30 juin 2008, 09:52
Dans un courrier adressé au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR) le 20 juin dernier, le président de la N-VA Bart De Wever se plaint d'être traité de « nazi » et « raciste » ( Lire l'article "Bart De Wever s'attaque au Soir" )– entre autres – dans Le Soir. L'article visé est la contribution de l'écrivain flamand Stefan Brijs à notre série « Pas d'avenir 100 projets » parue dans Le Soir du 10 juin (1). Son « Journal 2012 » est une adaptation des journaux intimes tenus par le juif allemand Victor Klemperer entre 1933 et 36.
Pourquoi M. De Wever fait-il référence à votre texte ?
Ce n'est pas personnel, je crois qu'il n'a pas apprécié qu'on ait pu en déduire qu'il s'agissait d'Hitler… Sa réaction est très hypocrite, surtout que j'ai rédigé mon texte dans le contexte précis des 100 projets. En tant qu'écrivain, je sais aussi que chacun voit dans un texte ce qu'il veut bien voir. Dans ce cas, c'était un jeu de rôles dans lequel M. De Wever était ministre-président flamand. Si on est de mauvaise foi, on peut en conclure qu'il s'agit de Hitler. Avec les textes de Klemperer, je n'ai pas dû fournir beaucoup d'efforts pour trouver des situations que je pouvais transposer de cette époque à la nôtre… C'est ce qui m'a le plus surpris et choqué.
C'est donc l'histoire de ceux qui ne veulent pas admettre qu'ils sont en train de faire la même chose qu'en 1930…
Chacun pense toujours qu'il fait les choses correctement. Mais dans ce cas-ci, qu'est-ce qui est bon et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Au nom de qui agit-on ? J'ai l'impression que Bart De Wever parle au nom de tous les Flamands; or ce n'est pas le cas. Cet extrémisme m'inquiète. Un parti comme le Vlaams Belang est évidemment extrémiste, mais j'ai l'impression que la N-VA le devient encore plus. Et on ne s'en rend même pas compte. Il est très difficile d'avoir un discours posé pour l'instant. Je ne suis pas pour ou contre la Flandre, la Wallonie ou la Belgique. Je suis tout simplement neutre. C'est comme si on ne pouvait pas l'être, on doit être pour ou contre.
Vous vous attendiez à une telle réaction ?
Non. Je voulais attirer l'attention sur la situation : tirez les leçons du passé, ouvrez vos yeux ! En retour, j'ai reçu une avalanche de mails. Tous provenaient de la N-VA.
Un énième « coup » de BDW ?
On peut se poser la question du timing, en effet. Parce qu'on avait l'impression qu'il y avait enfin des négociations entre francophones et Flamands. Comme s'il voulait à nouveau jouer le rôle de la victime.
Et c'est de nouveau la faute des francophones…
On oublie que De Wever a comparé les francophones de la périphérie avec les Tutsis. Et qu'il a vilipendé Di Rupo avec une campagne sur son nœud papillon. N'était-ce pas un appel à la haine ? Nous ne sommes pas comme ça, nous ne sommes pas comme lui. En plus, la censure est de retour en Flandre vis-à-vis de certains artistes et auteurs.
La presse joue-t-elle parfois aussi un mauvais rôle ?
Les médias ont un rôle important dans cette affaire. Le Soir se focalise régulièrement sur des petites infos du genre de celle d'Overijse ou de Vilvorde. Quand on met cela en évidence en « Une », ça crée aussi l'impression que tout le monde pense la même chose… et que tous les Flamands sont d'accord avec ces décisions. En Flandre, c'est Het Laatste Nieuws qui joue ce rôle. Mais ce sont avant tout les politiciens qui doivent prendre leurs responsabilités… On n'arrête pas de se focaliser sur BHV, mais on ne fait rien contre l'augmentation de la pauvreté ou la baisse du pouvoir d'achat.
Comment décrire l'opinion publique flamande actuelle ?
Beaucoup d'agressivité. La Flandre va trop bien et les Flamands ont peur de perdre quelque chose. Les francophones sont les étrangers de service, tout est de leur faute.
(1)http://www.lesoir.be/mediastore/_2008/juin/du_21_a_la_fin/30_brijs.pdf
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